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Des textes au ton critique pour alimenter les débats

Le cahier « Notre solidarité : un territoire à décoloniser », qui reprend et complète le contenu des ateliers, est un outil destiné à étoffer les réflexions et à susciter des débats qui, espérons-le, contribueront à enrichir nos pratiques de solidarité internationale.

Loin de prétendre à l’objectivité, ces textes reflètent nos positions politiques, féministes et anticoloniales. Les critiques, parfois acerbes, des pratiques de la coopération internationale participent d’une analyse systémique qui met en lumière des tendances dominantes tout en passant sous silence les exceptions à la règle. Cette posture critique englobante nous semble nécessaire pour provoquer de profondes remises en question. Toutefois, nous – en tant que militantes d’un projet de solidarité avec la Colombie – n’échappons pas à ces critiques. Dans cet esprit, les écrits sont parsemés de bulles référant à l’expérience du PASC. Intitulés « Parcours de solidarité directe », ces exemples tirés de nos propres échecs, débats internes, réussites et dilemmes, témoignent de notre processus de réflexion autocritique alimenté par la démarche proposée ici. Il faut toutefois noter que l’interprétation de ces moments d’histoire ne fait pas toujours consensus au sein du groupe; aussi les bulles que vous trouverez dans ce Cahier ne sont qu’une manière de raconter notre expérience.

Entièrement disponible en ligne vous pouvez également décider de télécharger l’intégralité du Cahier en format pdf.

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Introduction

 

L’introduction présente le cadre d’analyse du projet en mettant en lumière les principaux concepts utilisés. Y sont abordés les contributions des mouvements féministes et de l’analyse anticoloniale ainsi que les rapports Nord/Sud.

Chapitre 1 Défis de la solidarité: mettre en jeu nos privilèges

 

Le premier chapitre introduit les notions nécessaires à une analyse faite en termes de rapports de pouvoir et qui permet de comprendre les défis inhérents aux relations solidaires entre acteurs du Nord et du Sud. Dans un premier temps, nous présentons l’approche féministe anticoloniale en nous appuyant sur les concepts d’oppression, de catégories sociales et de privilèges. Par la suite, la réflexion se porte sur les moyens de reconnaître nos privilèges et d’agir avec eux.

1.1 Qu’est-ce que l’oppression ?

 

 

1.2 L’hégémonie de la normalité

 

 

1.3 Mettre en jeu nos privilèges

 

 

Chapitre 2 Aux sources de l’action internationale

Dans le chapitre 2, nous proposons une lecture historique de ce qui, de nos jours, est nommé solidarité internationale en suggérant d’y distinguer trois ensembles d’influences politiques : (1) la charité chrétienne et le mouvement humanitaire, (2) l’internationalisme en tant que solidarité politique, (3) l’aide publique au développement, pour ensuite nous pencher sur les spécificités de l’action des organismes de coopération internationale (OCI). Dans un dernier temps, nous abordons le thème de la citoyenneté mondiale, une manifestation actuelle de la solidarité internationale. Pour offrir des pistes de débats, nous présentons certaines critiques qui sont formulées à l’égard de chacun des courants. Faire ressortir les différents courants d’idées qui orientent l’action internationale a pour objectif d’inviter les acteurs et actrices à énoncer les positions politiques qui sous-tendent leurs initiatives de solidarité internationale.

2.1 De la charité à l’action humanitaire

 

 

2.2 L’internationalisme ou la solidarité entre les peuples

 

 

2.3 L’aide publique au développement (APD)

 

 

2. 4 Les organismes de coopération internationale

 

 

2. 5 Citoyen-ne-s du monde : consommation et solidarité ?

 

 

Chapitre 3 Canadien-ne-s en solidarité internationale

Le dernier chapitre, dédié aux relations solidaires Nord/Sud, se penche sur le rapport à l’Autre et a pour but de cerner les privilèges propres aux Canadien-ne-s engagé-e-s en solidarité internationale.
En reprenant les réflexions partagées par des militant-e-s et d’ancien-ne-s coopérant-e-s, nous y abordons différentes tensions, souvent taboues, qui traversent le travail de solidarité internationale dans le but de lancer les débats qui nous permettront d’affronter collectivement ces défis, lesquels, faute d’attention, sont souvent cause de désengagement.

3.1 Privilèges spécifiques à l’exercice de la solidarité internationale

 

 

3.2 Les rôles des militantes du Nord en solidarité internationale

 

 

3.3 Rapport à l’Autre

 

 

Conclusion : À suivre…

Annexe 1 Esclavage, Génocide et Guerre au terrorisme

Se basant principalement sur l’apport théorique des féministes afro-américaines et autochtones, ce texte propose une lecture féministe du projet colonial du Canada.

Annexe 2 Le rôle des ONG au cœur de la tourmente: le cas d’Haïti

Avec plus de 500 années de colonisation, des politiques économiques coloniales toujours en vigueur, des catastrophes à répétition, la plus grande proportion d’ONG par habitant au monde, Haïti est un cas où s’exacerbent des contradictions douloureuses. Le rôle des ONG y est fortement remis en question. Nous avons décidé d’y consacrer une annexe ayant conscience que le sujet d’Haïti ne peut pas être abordé dans le milieu de la coopération québécoise sans créer de vifs débats. Nous avons tenté de rendre justice au débat en cours sans pour autant cacher notre opinion sur le sujet.

Références

 


Une démarche féministe anticoloniale


La mondialisation néolibérale prolonge, tout en les transformant, les trois systèmes de
domination et d’exploitation […] : capitaliste, raciste colonial et patriarcal. -2- Jules Falquet,
sociologue française.


Le projet « Notre solidarité : un territoire à décoloniser » se revendique du mouvement féministe anticolonial développé, entre autres, par les Women of Colour et les Third World Feminists.(i) L’analyse des rapports de pouvoir qui est proposée [Chapitre 1] se base sur l’approche dite de l’intersectionnalité de l’oppression. Ce cadre d’analyse s’inspire des débats qui ont divisé et uni les différents mouvements féministes au cours des dernières décennies.-3-
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Nommer les actrices

Si la mobilisation se mesure, généralement pour les hommes, en termes de participation aux
partis et aux pouvoirs politiques, de programmes gouvernementaux, de promesses électorales
visant à un accès à la citoyenneté définie par les constitutions, les lois et autres objectifs de
développement réaffirmés en termes de croissance. L’approche est plus complexe pour les
femmes, en raison du caractère patriarcal et masculin de l’État et du politique. La signification
nouvelle que leur ont donnée les pratiques du politique héritées de la colonisation et les
tentatives de modernisation sociale n’ont pas complètement brisé la marginalisation des
femmes dans des Républiques sans citoyennes. Les femmes se sont créé des espaces de
parole et de liberté dans des conditions difficiles d’accès au politique, en participant aux luttes
de libération, au soutien des hommes au pouvoir, sans recevoir la juste contrepartie de ces
efforts.-6- Fatou Sow, intellectuelle féministe, Sénégal.

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Nommer les rapports Nord/Sud

Bien que cette notion soit fausse sur le plan géographique, nous avons choisi d’utiliser le terme « Nord/Sud » pour nommer le rapport historique entre nations dominantes et nations dominées, entre anciennes métropoles et anciennes colonies.

Le rapport Nord/Sud est en fait un clivage imaginaire entre les pays riches dits développés et les pays pauvres dits « sous-développés », « en voie de développement », « moins avancés », etc. L’expression ne réfère pas à une limite géographique mais bien à un clivage illustrant les inégalités entre, d’une part, les pays et communautés riches et privilégiés et, d’autre part, les pays et communautés non occidentaux marginalisés sur les plans économique, politique et culturel.
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Chapitre 1 Défis de la solidarité: mettre en jeu nos privilèges

Les initiatives de solidarité internationale naissent pour la plupart d’un sentiment d’injustice face aux inégalités Nord/Sud. Les militantes qui investissent ce champ d’action sociale proposent une nouvelle distribution du pouvoir entre les différentes régions du globe. À ce titre, les réseaux de solidarité internationale auxquels participent des actrices du Nord comme du Sud se présentent comme une forme alternative de relations, basée sur des principes d’égalité. Toutefois, comme les relations Nord/Sud relèvent d’un rapport de domination historique, les bonnes intentions ne sont pas suffisantes pour renverser ces inégalités. La question se pose donc : comment parvenir à transformer cette relation à la base inégalitaire ?

Cette question, centrale pour plusieurs mouvements de solidarité internationale, impose un regard critique sur nos pratiques, nous invitant à observer comment, malgré nous, nous reproduisons les rapports d’oppression que nous souhaitons abolir. La démarche que nous proposons vise, dans un premier temps, à identifier ces rapports de pouvoir afin de penser, dans un second temps, leur dépassement au sein de relations solidaires.

Nous n’étudions pas la mappemonde et les sociétés humaines depuis notre vaisseau spatial, avec un regard extérieur au genre terrien : nous sommes actrices de cette société et contribuons à reproduire et à réinventer les relations sociales. C’est pourquoi nous proposons de commencer en nous situant nous-mêmes au sein de cette société mondiale, en prenant conscience de notre propre position dans les rapports sociaux. Nous cherchons à cerner les privilèges qui nous sont octroyés et qui sont refusés aux acteurs et actrices avec lesquels nous souhaitons construire des relations solidaires.


Catégories sociales et rapports de pouvoir

> Catégorie sociale: Les catégories sociales sont des construits sociaux groupe social tout comme elles peuvent être utilisées pour invoquer une étiquette sociale que les autres attribuent à l’individu, étiquette qui repose souvent sur l’apparence physique et le processus de socialisation.

Partout où l’on pose les yeux, il y a des gens trop pauvres pour vivre dans la dignité et il y a des gens excessivement riches. Il y a des femmes qui marchent avec peur la nuit et des hommes qui se sentent en sécurité peu importe l’heure. Il y a des jeunes noir-e-s qui subissent le profilage à caractère raciste (dit « profilage racial ») du corps policier et des jeunes blanc-he-s qui n’ont pas à s’en inquiéter. Il y a des cultures dominantes qui affichent leur langue et leurs valeurs et d’autres, souvent autochtones ou immigrantes, qui sont reléguées au folklore. Il y a des couples qui expriment leur affection en public et d’autres qui se cachent des regards haineux. Loin d’être exhaustive, cette liste pourrait malheureusement s’allonger à l’aide de multiples autres facteurs d’exclusion : religion, citoyenneté, langue, capacités, etc.

Qu’on les nomme injustices, inégalités, exclusions ou discriminations, ces réalités sociales sont des rapports de pouvoir entre catégories sociales. Ces rapports de pouvoir conditionnent le vécu de l’oppression. Continue reading


Les catégories sociales : entre revendications et transgressions

Les catégories sociales : entre revendications et transgressions

Pour dénoncer et abolir les rapports de pouvoir, les mouvements sociaux ont historiquement utilisé différentes stratégies. Certains se sont consciemment réapproprié les termes associés à leur oppression au sein d’un processus d’affirmation identitaire et d’empowerment. Pensons par exemple au mot d’ordre Black is beautiful, au concept de Négritude ou encore à celui de Fierté Gay. Pour d’autres, la stratégie consiste plutôt à refuser les catégorisations. Les mouvements queers vont dans ce sens en transgressant les catégories binaires homme/femme et hétérosexuel/homosexuel pour mettre à jour la multitude et la fragmentation des identités sexuelles.

Si les féministes classiques rejettent les stéréotypes où sont enfermés les femmes et les hommes, elles ne revendiquent pas la fin de ces catégories. Pour certaines, il s’agirait d’un attachement identitaire envers un groupe ayant une longue histoire d’oppression et d’expériences communes. […] Pour ma part, je me sens à la fois interpellée et craintive. Interpellée parce que, au fond, je milite pour faire tomber des catégorisations inutiles. […] Parfois, je crois qu’une analyse binaire nous conduit à un cul-de-sac. Mais craintive parce que dans leur zèle, certains groupes, en voulant lutter contre les privilèges et pour les minorités sexuelles […] noient une réalité toujours persistante, la discrimination systémique des femmes partout dans le monde.-14- Alexa Conradi, Fédération des femmes du Québec.

Les luttes sociales se diversifient, dénonçant ou créant de nouvelles catégories sociales, qu’il s’agisse des stigmates soufferts par les personnes séropositives, des rapports de pouvoir qui entourent l’obtention ou la détention d’une certaine citoyenneté, la maîtrise d’une langue, la pratique d’une religion, etc. En mettant à jour l’arbitraire des catégories sociales et des rapports de pouvoir qui les soutiennent, ces différentes forces sociales revendiquent une nouvelle distribution des droits et privilèges entre les groupes sociaux.

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15 Conradi, « Transsexualisme et transgenre : une menace…»


L’intersectionnalité de l’oppression

Une personne ne peut se définir par une seule catégorie sociale : que ce processus relève de l’identification individuelle ou des étiquettes imposées par sa société, l’individu se positionne toujours au croisement de plusieurs catégories.

Une femme pauvre et handicapée ne peut pas expliquer son vécu de l’oppression uniquement par son appartenance à la catégorie Femme puisque d’autres rapports de pouvoir jouent pour déterminer sa place dans la société. En comparaison, pour un homme riche, blanc et hétérosexuel, le handicap ne sera pas aussi déterminant quant à ses conditions de vie. Ou encore, un individu mâle homosexuel ne peut pas être identifié seulement comme membre de la classe dominante masculine puisqu’au sein de cette catégorie sociale, il subit un processus d’exclusion.

> Intersectionnalité L’intersectionnalité véhicule l’idée selon laquelle les rapports
de pouvoir entre différentes catégories sociales, s’entrecroisent, se conjuguent
pour déterminer la position sociale d’un individu et son vécu de l’oppression.

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1.2 L’hégémonie de la normalité

Bien que la Constitution canadienne garantisse les mêmes droits aux différents individus jouissant de la citoyenneté canadienne, la sphère publique reste néanmoins imprégnée d’une norme universelle, d’un humain « normal », d’un groupe présenté comme majoritaire, où tous et toutes ne sont pas représentés de façon égalitaire. Comme l’exprime Lise Noël, historienne québécoise : « L’oppresseur incarnant la plénitude de l’existence, c’est souvent par un manque ou par un défaut de nature que se précise l’identité du dominé. »-16- Cette construction du normal est axée sur les hommes, blancs, adultes, chrétiens, hétérosexuels, en bonne santé, parlant anglais et/ou français, et jouissant de revenus leur permettant d’assouvir beaucoup plus que leurs besoins fondamentaux. Ce Canadien type est élevé au rang de norme constituant la majorité, bien qu’il ne représente dans les faits qu’une mince couche de la population. Les catégories sociales auxquelles il appartient – homme, Blanc, classe moyenne ou bourgeoise, hétérosexuel, etc. – lui assurent une position hégémonique au sein des rapports sociaux, ce qui lui permet de jouir de privilèges refusés aux « Autres ». En effet, celles et ceux qui ne participent pas de ces catégories dominantes sont identifié-e-s comme étant les Autres, les minorités, voire les marginaux, et à l’occasion les anormaux. Cette norme universelle s’applique également au niveau mondial où l’homme blanc hétérosexuel écrit l’Histoire et jouit de la position hégémonique, malgré son statut minoritaire.

> Hégémonie Antonio Gramsci se réfère à l’hégémonie culturelle en tant que processus par lequel un groupe ou une classe sociale impose ses règles aux autres, en définissant ses propres intérêts comme étant le sens commun. Cette classe dominante légitime et perpétue ainsi son pouvoir sur les autres groupes sociaux.

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16- Noël, L’intolérance, p. 23.


Colorer l’invisible

« L’oppresseur n’a pas d’existence apparente. »-17- Lise Noël, L’intolérance.

Les membres des groupes sociaux hégémoniques méconnaissent souvent les dynamiques d’exclusion qui touchent les non-membres de leur catégorie. Cette ignorance contribue à rendre invisibles leurs privilèges, lesquels se voient sacralisés au sein de l’ordre « normal » des choses.

Par exemple, une femme lesbienne qui a souffert d’exclusion et qui a dû réaliser nombres de coming out pour expliquer son orientation sexuelle à son entourage, s’identifiera plus facilement selon son orientation sexuelle qu’une femme hétérosexuelle qui n’a jamais eu à expliquer et défendre publiquement ses choix sexuels et amoureux. De la même façon, il est difficile pour une personne de peau noire vivant en Amérique du Nord d’oublier son appartenance à un groupe racialisé, alors qu’une personne de peau blanche ne s’identifiera généralement pas selon la couleur de sa peau et ne se questionnera pas sur sa « race ».

« De la même manière que les membres d’un groupe linguistique dominant pensent qu’ils n’ont pas d’accent lorsqu’ils parlent, les Blancs pensent qu’ils n’ont pas de race ».18- Ruth Frankenberg, White Women, Race Matters.

> Whiteness ou l’approche de la blanchité critique Selon cette approche, être blanc n’est pas une couleur mais une marque de privilèges. De nombreux privilèges sont attachés à la peau blanche, ceci peut s’expliquer par l’expansion européenne, le colonialisme, l’esclavage et enfin l’impérialisme occidental. Les tenant-e-s de cette approche souhaitent rendre visible l’affiliation à la majorité blanche dominante, démasquer la construction d’une normalité blanche pour dévoiler les privilèges qu’elle offre aux Blancs et l’oppression qu’elle engendre pour les non-Blancs.

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17- Noël, Lintolérance, p. 17.
18- Frankenberg, White women, Race Matters…


Reconnaître nos privilèges

> Privilège Jouissance de libertés, droits, avantages, accès ou possibilités dont bénéficient les membres du groupe dominant dans une société ou dans un contexte donné, habituellement non reconnus et tenus pour acquis alors que les mêmes libertés, droits et avantages sont refusés aux groupes marginalisés, désavantagés et moins valorisés. -19-

L’oppression et le privilège sont les deux faces d’une même médaille; l’une ne peut exister sans l’autre. Être sensibilisée, voire révoltée, contre les conséquences de l’oppression, est une partie importante de l’équation. Reconnaître les avantages que confère cette oppression pour les membres privilégiés en est une autre. Avoir certains privilèges consacrés par son appartenance au groupe des Blancs, au genre masculin, hétérosexuel, à sa citoyenneté, etc., signifie que la société accorde à ces individus plus de libertés et de marges de manœuvre qu’à d’autres. Ces membres des groupes sociaux hégémoniques jouissent d’un traitement préférentiel qui leur offre un accès privilégié au pouvoir et aux ressources.
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Un miroir peu flatteur

Prendre conscience que l’on occupe des positions privilégiées au sein des rapports d’oppression entache l’image positive qu’on construit de soi-même en tant qu’actrices solidaires.

Pour un individu situé au sommet de la pyramide sociale, le défi est de taille puisqu’en plus de devoir surmonter la blessure narcissique que représente cette prise de conscience, ce membre privilégié n’a généralement que peu d’expériences personnelles qui lui permettraient de comprendre en quoi consiste l’oppression. Mais le processus n’est pas nécessairement plus facile pour des membres un peu moins privilégiés, par exemple pour une femme blanche lesbienne et de classe moyenne, la tentation est forte de ne prendre en compte que son expérience de l’oppression en oubliant qu’elle détient des privilèges refusés à d’autres. En ce qui concerne les Québécois-e-s blanc-he-s, Chantal Maillé suggère que le principal obstacle à la reconnaissance des privilèges est dû au fait de vivre « dans une culture qui s’est longtemps perçue comme minoritaire et colonisée plutôt que de se définir par référence à son appartenance à la culture occidentale blanche et impérialiste.» -22-

Puisque la reconnaissance de nos privilèges nous renvoie un miroir peu flatteur de nous-même, nous développons diverses réactions pour nous en protéger.

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22-Maillé, « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », p. 106.


Mécanismes de défense

Une réaction commune consiste à relativiser le privilège de la richesse en idéalisant le mode de vie des populations pauvres. Les entrevues réalisées auprès d’ex-coopérant-e-s du programme Québec sans frontières, dans le cadre d’une étude portant sur « La convergence troublante du privilège, du militantisme et du tourisme politique »(23), illustrent ce mécanisme de défense face à la prise de conscience de la position privilégiée des coopérant-e-s qui, règle générale, détiennent un pouvoir économique démesuré par rapport à la population locale. « Dans le fond, les vrais privilégiés, ce sont eux, ils sont tellement plus heureux, loin du consumérisme superficiel de notre société », «Ce sont des êtres proches des vrais valeurs, qui s’entraident; finalement leur richesse est bien plus grande que la notre »(24), etc.

Au contact d’autres cultures, les voyageuses sont amenées en effet à s’ouvrir les yeux sur les problèmes de nos sociétés dites développées : consumérisme et superficialité, individualisme et pauvreté relationnelle, etc. Parallèlement à la découverte qu’« un autre monde est possible», s’opère un mécanisme de défense face à la prise de conscience des injustices sur lesquelles repose notre mode de vie. De façon pernicieuse, en idéalisant les vertus de la pauvreté, nous parvenons à nous déculpabiliser d’être parmi les mieux nantis.

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De la culpabilité à la responsabilité

La solidarité avec les groupes sociaux opprimés passe en quelque sorte par un acte de déloyauté vis-à-vis du groupe dominant d’appartenance : l’individu refuse la distribution sociale des privilèges même s’il en bénéficie. Par exemple, un homme conscient de ses privilèges issus des rapports inégaux entre les sexes peut s’afficher en tant que « proféministe » ou « féministe » tout comme une femme blanche peut s’identifier comme antiraciste ou un citoyen canadien, en désaccord avec les pratiques guerrières de son pays en Afghanistan, peut défendre des idées anti-impérialistes.

Si le fait de détenir un privilège implique, par définition, que celui-ci est refusé à d’autres, cela ne signifie pas que tous les privilèges sont négatifs en soi. Certains renvoient à des droits qui doivent être distribués équitablement entre tous et toutes (exemples : sentiment de sécurité, accès à l’éducation, etc.), alors que d’autres impliquent nécessairement un rapport d’oppression (exemples : tirer son pouvoir de consommation des termes inégaux du commerce mondial, voir son sexe ou son identité racialisée surreprésentée dans les médias, etc.). Les premiers privilèges peuvent être perçus comme des avantages positifs, des outils dont on dispose pour développer nos actions de solidarité, d’où la responsabilité liée à la détention de privilèges. Pour que la prise de conscience portant sur nos privilèges soit orientée vers l’action, on peut identifier ces avantages positifs et réfléchir à la manière de les utiliser en faveur d’un changement social. Cette démarche permet de passer d’une approche réactive à une position proactive.
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Chapitre 2 Aux sources de l’action internationale

Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre. Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. […] L’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux : Amérique latine, Chine, Afrique. […] L’Europe est littéralement la création du tiers monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés. […] Et quand nous entendons un chef d’État européen déclarer la main sur le cœur qu’il lui faut venir en aide aux malheureux peuples sous-développés, nous ne tremblons pas de reconnaissance. Bien au contraire, nous disons : « c’est une juste réparation qui va nous être faite ». Aussi n’accepterons-nous pas que l’aide aux pays sous-développés soit un programme de « sœurs de charité ». Cette aide doit être la consécration d’une double prise de conscience, prise de conscience par les colonisés que cela leur est dû et par les puissances capitalistes qu’effectivement elles doivent payer. (26)
Frantz Fanon, intellectuel martiniquais.

Comme le souligne Frantz Fanon, figure de proue du mouvement anticolonial, les pays qui « donnent » sont ceux qui ont profité pendant des siècles du pillage des pays aujourd’hui contraints à quémander ou à accepter « l’aide ». Selon cette lecture, l’aide publique au développement (APD) doit se comprendre dans le contexte du système colonial qui l’a vu naître; elle répond aux intérêts politiques et économiques des donateurs. Mais qu’en est-il des autres formes d’aide et de solidarité ? Échappent-elles aux rapports de pouvoir inégaux entre le Nord et le Sud ? Pour alimenter la réflexion à ce sujet, mais également pour mieux comprendre nos propres pratiques, nous proposons de nous pencher sur les racines de la solidarité internationale. Quelle est l’histoire de ceux et celles qui nous ont précédés ? Dans quel contexte mondial se situe notre action ? Quelles sont les valeurs qui l’orientent ? Nous avons identifié trois larges courants qui influencent les pratiques actuelles des organisations dédiées à la solidarité internationale : 1) la charité chrétienne et l’humanitarisme, 2) l’internationalisme et 3) l’aide publique au développement. Dans ce chapitre, nous traçons un rapide portrait de ces trois courants tout en résumant quelques-unes des critiques qui leur sont adressées, pour ensuite cerner ce qui fait la spécificité du domaine de la coopération internationale, tel qu’entendu de nos jours.

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26- Fanon, Les Damnés de la Terre, p. 99-100.


Les fondements religieux de la charité

Dans l’histoire de l’humanitaire, la notion la plus ancienne est sans doute celle de charité. Elle se retrouve dans les traditions religieuses du judaïsme, du christianisme et de l’islam ; la charité y représente une obligation morale qui doit s’exprimer par des dons, l’aumône ou la zakât (un des cinq piliers de l’islam). L’impératif d’aider les gens dans le besoin se traduit, entre autres, par les missions caritatives en faveur des malades et des victimes de la guerre. Règle générale, les œuvres de charité ne remettent pas en question les causes de la pauvreté ou de la guerre mais cherchent plutôt à pallier la souffrance humaine.

La charité constitue, depuis l’avènement de la religion chrétienne, une haute vertu théologale consistant dans l’amour de Dieu et du prochain en vue de Dieu. Elle compense, là, les effets de l’inégalité, appelant la compassion envers les pauvres, les démunis, les blessés de l’âme et du corps qui sont, toutefois, invités à subir leurs maux, la Rédemption ne venant qu’avec la Vie Éternelle.(27) Véronique Magniny, juriste française.

Les actrices et acteurs de la charité étant nombreux et diversifiés, plusieurs lectures s’imposent. Les principales critiques adressées à la charité soulignent que ce type d’œuvre sociale favorise le statu quo en allégeant les manifestations de l’inégalité sans remettre en cause les rapports de pouvoir responsables. Selon cette lecture, la charité vise non seulement à protéger l’ordre social existant mais également à apaiser la mauvaise conscience des mieux nantis. La Guignolée (v) orchestrée dans le temps de Noël par l’empire Péladeau offre à ces critiques une cible de choix. Néanmoins, d’autres soutiennent que devant l’impossibilité de renverser cet ordre social à court terme, la charité constitue une réponse solidaire face à la pauvreté systémique. Par exemple, le fait de recueillir des dons pour la construction d’une école en territoire palestinien occupé peut être perçu comme un geste solidaire fondé sur des positions politiques plutôt que comme un appui au statu quo (dans ce cas le maintien de l’apartheid israélien).

La charité n’est certes pas la seule voie empruntée par les militant-e-s d’inspiration religieuse. Par exemple, au sein de l’Église catholique, les adeptes de l’Option préférentielle pour les pauvres s’investissent dans les luttes sociales afin de s’attaquer aux causes de la pauvreté plutôt que d’en soigner les manifestations. [Voir : Théologie de la libération]

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v- La Guignolée Pierre Péladeau est lancée en 1998 par le milliardaire québécois du même nom pour récolter les dons du public. En 2001, les grands médias se regroupent pour poursuivre l’initiative et organiser la Guignolée des médias qui est aujourd’hui couronnée des bannières de grandes entreprises, telles Loblaws, Maxi & Cie , Jean Coutu, Banque Laurentienne, etc.

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27- Magniny, Les réfugiés de l’environnement, p. 139.


Colonisation et missions civilisatrices

Dès que le colonisé commence à peser sur ses amarres, à inquiéter le colon, on lui délègue de bonnes âmes qui, dans les Congrès de Culture, lui exposent la spécificité, les richesses des valeurs occidentales. Frantz Fanon (1961).(28)

Les pratiques charitables de l’Europe ont historiquement été accompagnées par des politiques complexes dans lesquelles s’imbriquaient le rôle du soldat conquérant et celui du missionnaire civilisateur/évangélisateur ; cette dynamique est telle qu’il est difficile de dissocier le rôle de l’État et de l’Église. Motivée par des intérêts économiques impérialistes (conquêtes de territoires, mainmise sur les ressources naturelles, nouveaux bassins de main-d’œuvre, etc.), l’expansion coloniale de l’Europe à partir du 13e siècle « est pensée comme un mouvement d’expansion de la chrétienté »i. Les croisades contre les ennemis du Christ (les musulman-e-s, juif-ve-s et « païen-ne-s ») étaient inséparables des affaires commerciales du royaume (recherche d’or, contrôle de territoires, commerce des esclaves, etc.). Alors que le colonialisme moderne européen se déploie sur tous les continents, la collusion de l’Église et du pouvoir souverain incarne, dès lors, la continuité entre le rôle du soldat conquérant et celui du missionnaire, civilisant les « barbares » par l’évangélisation. L’expansion économique qu’entreprend l’Europe pour s’approprier les ressources des pays colonisés et réduire à l’esclavage leur population(ii) provoque le plus grand génocide de l’histoire humaine et étend l’écocide(iii) à la surface entière de la planète. Pourtant, l’entreprise coloniale est pensée comme une mission charitable où l’Occident apporte les bienfaits de sa civilisation aux peuples « barbares ».

L’idéologie colonisatrice repose sur la prétendue supériorité morale de l’Occident de laquelle découlerait le devoir d’éclairer les « pauvres indigènes ».. Cette idéologie se nourrit de la pensée humaniste du siècle des Lumières qui mise sur la Raison pour réaliser « le progrès de la civilisation ».. Pour certains penseurs des Lumières, cette Raison est le propre de l’Homme (européen blanc) tandis que les femmes et les peuples « barbares » sont relégués à l’état de nature, d’où le besoin de les éclairer par la Civilisation.

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ii- Bien que l’ensemble des pratiques coloniales vise l’assujettissement et le contrôle des peuples colonisés, les mécanismes de domination ont pris différentes formes selon les territoires occupés. Lorsque le système esclavagiste n’était pas instauré, d’autres modalités ont été utilisées telles que le contrôle de la mobilité géographique ou sociale, l’imposition de cartes d’identité, l’imposition de règles éducatives visant l’assimilation des « indigènes barbares », etc.
iii- Néologisme construit à partir des mots « écosystème » et « génocide ».
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28- Fanon, Les Damnés de la Terre, p. 11.


Des missionnaires aux organisations humanitaires

La valeur religieuse de la charité et le mot d’ordre d’évangélisation donnent lieu à l’envoi de missionnaires à l’étranger et à la création d’organisations d’aide en cas de catastrophe naturelle, de guerre, de famine, etc. Au début du 20e siècle, les paroisses québécoises recrutent environ 4000 missionnaires par an pour leurs missions à l’étranger.(30) Avec la laïcisation des sociétés occidentales, la charité n’est plus l’apanage des œuvres chrétiennes ; elle se trouve également au centre des valeurs humanistes contemporaines. Les œuvres caritatives relèvent de nos jours d’organisations à caractère religieux tout comme d’organismes humanitaires laïques.

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30- Beaudet, Qui aide qui? …, p. 22.


Neutralité de l’action humanitaire

La première organisation humanitaire d’importance est sans contredit la Croix-Rouge qui invite les États à signer un pacte en faveur de la protection des blessé-e-s en temps de guerre. Son objectif est atteint en 1864 avec la signature de la première Convention de Genève qui, en définissant le droit à la guerre (et affirmant par là le droit de conquête), offre à l’aide humanitaire un espace juridique international et dote ainsi la Croix-Rouge du statut d’un tiers parti neutre.

Croix-Rouge et idéologie coloniale
L’humanisme des pères fondateurs de la Croix-Rouge ne s’éloigne en rien de l’idéologie coloniale de l’époque. Pour son premier président, Gustave Moynier, la compassion qui anime l’œuvre de la Croix-Rouge est le propre des nations civilisées alors que « La compassion est inconnue de telles tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme […].  Leur langue même, dit-on, n’a pas de mots pour en rendre la pensée, tant celle-ci leur est étrangère. » Et il ajoute « [les peuples sauvages] cèdent sans arrière-pensée à leurs instincts brutaux ». C’est ainsi que dans son livre, L’Afrique explorée et civilisée, il lance un appel pour aider la « race noire » en concluant : « La race blanche doit la faire bénéficier des moyens dont dispose la civilisation moderne pour améliorer son sort. »(31)

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La compassion à plusieurs vitesses

L’idée selon laquelle l’urgence humanitaire justifie l’intervention étrangère se nourrit de « l’emballement compassionnel » du public : Il faut agir ! Pour Bernard Duterme, sociologue français : « Pas de donateurs sans journalistes, pas d’humanitaires sans donateurs, pas de journalistes sans audience… ils se nourrissent mutuellement. » (33) Le rôle des médias dans la mobilisation de l’opinion dite publique est sans conteste énorme, il agit comme mécanisme de discrimination des victimes : toutes les victimes de guerres ou de catastrophes naturelles ne reçoivent pas la même attention. Ainsi, certaines victimes « méritent » plus que d’autres l’assistance internationale, tout comme les bébés phoques éveillent d’avantage la compassion du public que le requin blanc en voie d’extinction. La réponse humanitaire n’est donc pas inconditionnelle ni universelle, elle se base sur des critères qui correspondent généralement d’une part aux intérêts impérialistes des États et, d’autre part, à la construction sociale de la souffrance. [Voir :  Images de la souffrance]
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Quel droit d’ingérence pour l’action humanitaire ?

Le concept d’ingérence humanitaire, largement diffusé par Médecins sans frontières, véhicule l’idée selon laquelle l’intervention extérieure est légitimée « non par le droit, mais par la morale, celle de l’extrême urgence qui porte à faire prévaloir le sauvetage des victimes sur la sauvegarde de la souveraineté ».(35)

Au Québec, ce concept se popularise dans les années 1980 alors que des OCI mobilisent l’opinion publique autour des famines qui sévissent dans la Corne de l’Afrique. En 1984, au nom de l’urgence humanitaire et face à l’inaction de la communauté internationale, certaines ONG telles Développement et Paix (36) et Oxfam Québec décident d’acheminer des convois d’aide humanitaire aux camps de réfugiés du nord de l’Éthiopie sans l’autorisation du gouvernement éthiopien qui s’oppose alors à toute intervention étrangère sur son territoire. Dans ce cas, l’ingérence humanitaire est un engagement solidaire qui implique, pour ces ONG, d’aller à l’encontre de l’autorité gouvernementale. On peut certes s’interroger sur les privilèges occidentaux qui permettent à des ONG du Nord de défier la souveraineté des États du Sud, alors que la situation contraire serait hautement improbable. Il est toutefois également possible d’établir un parallèle entre ce type d’ingérence humanitaire et les actions de désobéissance civile qui, au nom de l’urgence et de la gravité de la situation, violent délibérément les lois pour atteindre leurs objectifs. Forts de cette vision, certain-e-s proposent ainsi de considérer que l’ingérence humanitaire des forces non gouvernementales transcende en quelque sorte le pouvoir des États et participe de ce fait à la construction d’un contre-pouvoir.
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ONG et forces militaires : même combat ?

Je vous assure que l’Amérique ne pourrait atteindre son objectif de former un monde plus libre, plus prospère et plus sécuritaire sans vous. […] Tout comme nos diplomates et nos militaires, les ONG américaines sont là-bas, en train de servir et de se sacrifier sur la ligne de front de la liberté. […] J’entends sérieusement m’assurer que nous avons les meilleures relations avec les ONG qui sont une force multiplicatrice pour nous, une partie si importante de notre équipe de combat. […] Parce que, voyez-vous, il s’agit d’un partenariat, un partenariat entre nous, au gouvernement, et vous, représentants d’ONG sans but lucratif et à but lucratif. Nous sommes tous engagés dans le même but singulier, aider l’humanité…Colin Powell, secrétaire d’État (États-Unis, 2001)(40).

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2.2 L’internationalisme ou la solidarité entre les peuples

En marge des préoccupations militaro-humanitaires, la solidarité internationale s’inspire également des courants internationalistes qui ont parcouru les mouvements sociaux de par le monde depuis le 19e siècle. S’inscrivant en faux contre les politiques mises en branle par les États du Nord pour gérer les inégalités mondiales qui menacent la sécurité des pays riches [Voir : 2.3 Aide au développement et contrôle politique], l’internationalisme dénonce les causes même de ces inégalités et, ce faisant, rallie des mouvements sociaux du Nord comme du Sud partageant un même désir de changement social. À l’origine formulé en tant que doctrine marxiste préconisant l’union internationale des peuples sans tenir compte des frontières entre États, l’internationalisme se manifeste aujourd’hui par la solidarité politique au sein du mouvement global de résistance à la mondialisation capitaliste.


L’Internationale prolétaire

Dans le texte d’introduction à la Première Internationale (Association internationale des travailleurs, Londres, 1864), Marx écrivait : «  L’expérience du passé a montré qu’une attitude dédaigneuse envers l’alliance fraternelle qui doit exister entre les ouvriers des divers pays et les inciter à se soutenir fermement les uns les autres dans leur lutte de libération est punie par une défaite générale de leurs efforts isolés. » Cette citation résume la pensée internationaliste qui se développe alors en tant que processus révolutionnaire porté par l’union mondiale des prolétaires, union qui, pour instaurer le communisme, abolirait les États et les frontières. Le système capitaliste étant, de par sa nature, porté à la mondialisation, il ne peut être aboli dans un cadre national : la lutte prolétaire doit nécessairement se jouer à l’échelle mondiale. En outre, pour Marx et les partisan-ne-s de la Première Internationale (1864-1876), les États-Nations et leurs frontières sont des créations de la bourgeoisie ; la doctrine communiste, basée sur la communauté d’intérêts des peuples opprimés, s’oppose donc aux guerres entre États (bourgeois) et aux nationalismes. Cet engagement « contre les guerres bourgeoises » sera au centre des débats qui divisent les partisans de la Seconde (1889-1914) et de la Troisième Internationale (1919-1943): si certaines factions refusent de participer « aux guerres impérialistes » d’autres prônent l’enrôlement dans les armées nationales pour lutter contre les États fascistes et défendre l’URSS. Les idées internationalistes restent toutefois vivantes, particulièrement au sein des  « Brigades internationales » qui se déploient durant la Guerre civile d’Espagne (1936-1938) pour appuyer les milices antifascistes en lutte contre le pouvoir franquiste.(vi) Cet élan de solidarité de type internationaliste mobilise environ 59 000 volontaires provenant de 53 pays différents.i Parmi eux, 1300 volontaires canadiens forment le bataillon Mackenzie-Papineau pour rejoindre les Brigades internationale en Espagne.(48)
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Internationalisme et anti-impérialisme

Défendant une position anti-impérialiste, les brigadier-ère-s se mobiliseront par la suite, lors des guerres coloniales des années 1960 et 1970 (Indochine, Algérie, entre autres), contre les dictatures (le Portugal de Salazar, la Grèce des Colonels ou le Chili de Pinochet) et de nombreuses brigades furent organisées pour appuyer les mouvements de libération nationale et les projets de construction révolutionnaire des années 1980 en Amérique centrale (particulièrement au Nicaragua, au Salvador et au Guatemala) (53). Au Québec, cet internationalisme prend racine au sein du Centre international de solidarité ouvrière (CISO) (54), créé en 1975 pour tisser des liens entre les mouvements sociaux québécois et les luttes de libération nationale qui se mènent à travers le monde.
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La fin des idéologies ?

Après la chute du mur de Berlin (1989) et les interventions militaires camouflées sous le discours de l’intervention humanitaire en Somalie et dans les Balkans, l’internationalisme connaît un renouveau qui se manifeste au sein des débats divisant le « monde des ONG ». Selon le philosophe marxiste Daniel Bensaïd, ces tensions se sont traduites par « une prise de distance de certains secteurs envers les ingérences militaires et la récupération de l’humanitaire par les intérêts d’État, et par une tension entre des ONG tentées par la promotion institutionnelle, enclines à administrer “une suprématie morale”, et d’autres plus sensibles à la critique sociale. »(64) Plusieurs militant-e-s et intellectuel-le-s anti-impérialistes voient alors dans la multiplication des ONG de la coopération internationale une nouvelle stratégie d’ingérence qui entend suppléer les nouveaux États post-coloniaux par l’administration de l’aide et faciliter la mainmise sur les ressources humaines et naturelles du dit Tiers Monde.

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64- Bensaïd, « Mondialisation – Le point de vue internationaliste »


L’Internationale de la Résistance

C’est sans aucun doute l’appel lancé par les Zapatistes deux ans après leur soulèvement armé dans les montagnes du sud du Mexique qui renouvelle l’idée d’une Internationale dans les années 1990. La Première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme se déroule au Chiapas en 1996. De cette rencontre, surgit l’appel historique à porter « l’Internationale de l’espérance » contre « l’Internationale de la terreur représentée par le néolibéralisme ».

La nébuleuse Internationale y est définie comme : « un réseau collectif de toutes nos luttes et résistances particulières. Un réseau intercontinental de résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental pour l’humanité. Ce réseau intercontinental sera le moyen par lequel les différentes résistances s’appuieront les unes les autres ».(65) Première rencontre intercontinental pour l’humanité et contre le néolibéralisme (1996).

Rappelons que le soulèvement zapatiste a lieu le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA). Les manifestations de cette Internationale de la résistance prendront dès lors comme cibles les accords économiques et les sommets des élites économiques et politiques de ce monde. En 1999, se déroule non seulement la Bataille de Seattle, point d’envol des grandes mobilisations antimondialisation, mais également la deuxième Conférence de l’ction mondiale des peuples (Bangalore, Inde). Le « Mouvement des mouvements » s’est ensuite exprimé au moyen de mobilisations massives à travers le monde ; au Canada, on se souviendra entre autres du Sommet des Amériques (Québec, 2001), de la rencontre de l’OMC (Montréal, 2003) et de la rencontre du G20 (Toronto, 2010).
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Une ONGéisation des mouvements sociaux ?

Au sein de la gauche, les débats entourant les ONG sont souvent houleux. Si certains voient dans ces nouvelles formes d’organisation la possibilité d’épauler les mouvements sociaux par le transfert de ressources et d’expertises, d’autres dénoncent un processus d’ONGéisation des mouvements sociaux, qui a pour effet de démunir les forces sociales d’opposition au profit d’une nouvelle élite politique (les « experts » des grandes ONG), laquelle élite « négocie » au nom des mouvements sociaux bien qu’elle soit incapable de reprendre leurs demandes fondamentales en termes de justice et de changement social. À l’échelle mondiale, cette relation entre ONG et mouvements sociaux est d’autant plus pernicieuse que la majorité des grandes ONG proviennent du Nord alors que les mouvements sociaux sont fortement enracinés au Sud. Par exemple, si l’on se fie au nombre d’ONG accréditées devant l’ONU et pouvant participer aux consultations tenues par les différents organismes du système des Nations Unies, sur un total de 1500 ONG enregistrées, seulement 251 proviennent du Sud, soit à peine 16 %.i Cette surreprésentation des ONG du Nord est déterminante pour la formulation des revendications sur le plan international. En effet, bien que ces ONG se présentent souvent comme les porte-parole des « sans-voix » du Sud, règle générale, elles ne peuvent adopter les analyses radicales développées par les mouvements sociaux du Sud sans mettre en danger leur financement ou leur accès privilégié aux décideurs publics.
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2.3 Aide publique au développement

> L’aide publique au développement -APD-, légalement encadrée au Canada par la loi sur l’Aide officielle au développement est ainsi défini par le Centre de recherche sur le développement international (CRDI) :
L’objectif d’ensemble de l’aide canadienne au développement consiste à assurer un développement équitable et durable dans les pays en développement afin de réduire la pauvreté et de contribuer à créer un monde plus sûr et plus prospère. L’aide au développement revêt un grand nombre de formes: bilatérale (de gouvernement à gouvernement), multilatérale (par exemple l’aide acheminée par l’entremise des programmes des Nations Unies et des institutions financières internationales), et l’aide consistant à soutenir, dans les pays en développement, les initiatives d’organisations non gouvernementales, d’établissements d’enseignement et du secteur privé canadiens (84).

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84 Centre de recherche sur le développement international (CRDI), « Official Development Assistance (ODA) » [En ligne](Consulté le 17 janvier 2011)


Un instrument de la politique extérieure des États riches

On peut retracer l’origine des programmes d’aide internationale à la fin de la Seconde guerre mondiale, avec la création des institutions financières internationales de Bretton Woods en 1944 (Banque mondiale et Fonds monétaire international) et le Plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe en 1947. L’aide économique offerte par les États-Unis à l’Europe vise alors essentiellement à contrer le communisme et à asseoir l’hégémonie de cette nouvelle superpuissance. Dans le contexte de la guerre froide, cette aide se veut un outil pour étendre les zones d’influence des deux grandes puissances. N’ayant pas donné lieu à des affrontements armés directs, la rivalité entre les États-Unis et l’URSS se joue, dès la fin des années 1940, sur le terrain de ce qu’on appela le Tiers Monde (1), au moyen des programmes de développement. Rappelons que plusieurs pays africains acquièrent à ce moment leur indépendance; le retrait des États coloniaux s’accompagne d’une présence grandissante des organisations internationales et de programmes d’aide provenant de ces anciennes métropoles. L’APD est également un moyen d’accroître la puissance économique, notamment par l’accès aux ressources naturelles nécessaires au monde industriel, tel le pétrole, par la pénétration de nouveaux marchés de consommation et par l’investissement dans les nouvelles industries des économies dites émergentes. Le mariage entre les notions de sécurité nationale (envers un ennemi communiste) et de développement, encore présent aujourd’hui, se dessine alors.

(1) Pendant cette période, le terme « Premier Monde » référait aux pays industrialisés du bloc de l’Ouest alors que le « Deuxième Monde » référait aux pays socialistes du bloc de l’Est. Le terme « Tiers Monde » désignait alors les pays « non alignés », d’où l’importance pour les deux puissances impérialistes de l’époque (l’URSS et les États-Unis) d’y étendre leur zones d’influence. Notons que de nos jours le terme « Quatrième Monde » est utilisé pour désigner les peuples autochtones, entendus comme « marginalisés des marginalisés ».


Aide et contrôle politique

Les premières critiques adressées à l’aide internationale sont sans contredit celles qui dénoncent l’instrumentalisation de cette « aide » à des fins politiques. Par exemple, pour choisir les principaux pays bénéficiaires de l’aide bilatérale canadienne, trois critères sont établis dont celui qui évalue « leur conformité avec la politique étrangère du Canada » (ACDI, 2010) (85). M. Severino, directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale, rappelle qu’il en a toujours été ainsi; l’aide internationale est avant tout un instrument de contrôle politique aux mains des pays riches :

Durant plus de trente ans, l’aide au développement a été essentiellement perçue par les maîtres politiques comme un instrument de maîtrise de la contagion communiste. […] La politique n’est pas morte, et l’aide au développement demeure l’un des rares outils dont disposent les chancelleries et les palais présidentiels de la planète quand la stabilité internationale est menacée. Il n’y a pas là matière à s’indigner, mais à nuancer une définition de l’aide par des objectifs économiques qui n’ont jamais constitué qu’une partie de son fondement. Régulièrement, les fonds publics sont engagés dans des États en développement pour ‘contenir’, ‘stabiliser’, voire ‘acheter’ des situations, des règlements politiques ou des populations.(86) J.-M. Severino, directeur pour l’Europe centrale puis vice-président pour l’Asie, Banque mondiale (1996-2000.)

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La notion de « développement »

[…| il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. […] Leur vie économique est primitive et stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. […] Je crois que nous devrions mettre à la disposition des peuples pacifiques les avantages de notre réserve de connaissances techniques afin de les aider à réaliser la vie meilleure à laquelle ils aspirent. Et, en collaboration avec d’autres nations, nous devrions encourager l’investissement de capitaux dans les régions où le développement fait défaut. […] Une production plus grande est la clef de la prospérité et de la paix.(97)Discours d’investiture d’Harry Truman, président des États-Unis, le 20 janvier 1949.

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Développement durable et néolibéralisme

La crise de la dette des années 1980, dans les pays du Sud, ainsi que l’émergence des enjeux environnementaux sur la scène internationale ont contribué à forger un nouveau concept : le développement durable. En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies dépose le Rapport Bruntland, Notre avenir à tous. Le nouvel objectif du développement y est ainsi formulé : « satisfaire les besoins actuels sans compromettre les besoins des générations futures ». Ce rapport intervient alors que se met en place le Consensus de Washington (1989), point de départ des politiques néolibérales imposées à l’échelle mondiale au moyen des Programmes d’ajustement structurel (PAS) dans les pays du Sud et des plans d’austérité budgétaire dans les pays du Nord. Pour avoir droit aux prêts gérés par les institutions financières internationales (telles que la BM et le FMI), les pays du Sud sont tenus de respecter une série de mesures dont la dévaluation de la devise nationale, lapromotion des exportations (aux dépens des cultures destinées au marché domestique), la libéralisation du commerce, la réduction des restrictions imposées aux investissements étrangers de même que la privatisation des entreprises publiques, des infrastructures et des services sociaux.(101)
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Les OCI au Québec

> Organisme de coopération internationle (OCI)
Tout organisme à but non lucratif dont le siège social est situé au Québec ou dont le bureau québécois dispose d’une autonomie de sélection, de gestion et de réalisation de projets d’intervention dans les pays moins favorisés, et dont la mission première, telle que définie aux lettres patentes, est orientée vers la solidarité et le développement international.
Ministère des relations internationales du Québec

Il y a environ 160 000 ONG au Canada, ce qui équivaut à l’un des plus hauts ratios par habitant parmi les pays du Nord; parmi elles, on compte au moins 500 organismes dédiés à la coopération internationale(106). Ces dernières représentent 7 % de l’économie canadienne.(107) La croissance des ONG (incluant les OCI) a été fulgurante depuis la seconde moitié du siècle dernier.
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Les OCI et les ONG, des acteurs politiques

Bien que plusieurs ONG adoptent un discours peu revendicateur (xiii), il ne faut pas perdre de vue que les ONG sont des acteurs politiques qui évoluent au sein de la place publique. Qu’il soit question de pressions, de lobbying, de mobilisations, de documentation, etc., elles entendent sensibiliser ou dénoncer et ainsi orienter les décisions publiques. Mais en faveur de quoi ? Si leurs missions cadrent dans ce qui est nommé aujourd’hui « coopération internationale », les OCI se mobilisent autour d’enjeux diversifiés : droits humains, environnement, lutte à la pauvreté, éradication de la violence envers les femmes, accès aux technologies de l’information, souveraineté alimentaire, etc., et leurs revendications peuvent diverger. Leurs approches sont par ailleurs différentes : certains organismes mettent de l’avant l’action charitable ou prônent l’intervention humanitaire alors que d’autres se rallient autour du concept de développement ou encore se revendiquent de l’internationalisme ou de l’altermondialisme, et certains conjuguent plusieurs de ces approches.

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xiii Par « discours peu revendicateur » nous entendons : « Les actions de développement durable doivent être entreprises dans un souci d’équité […] et de solidarité sociales […], des changements doivent être apportés dans les modes de production et de consommation en vue de rendre ces dernières plus viables et plus responsables sur les plans social et environnemental. » Ou encore « la lutte contre la pauvreté constitue la toute première urgence en matière de solidarité ». Il s’agit d’extraits choisis de la Loi sur le développement durable (2005) et de la Politique internationale du Québec (2006). À notre sens, si le discours d’une organisation est semblable à celui énoncé par son gouvernement, il n’est pas revendicateur, il poursuit plutôt d’autres objectifs, tels que la sensibilisation du public.


La légitimité des ONG

Plusieurs auteurs, de droite comme de gauche, critiquent la légitimité des ONG à influencer les décisions politiques puisque, à la différence des grandes organisations corporatistes (syndicats, associations étudiantes, regroupement d’organisations communautaires, etc.) ou des mouvements sociaux, elles ne représentent aucun secteur de la population. Cela est d’autant plus vrai dans le cas des OCI, qui ne peuvent généralement pas justifier leur intervention sur la place publique ou leur financement étatique ni par le nombre de membres qu’ils représentent ni par la réponse à des besoins spécifiques d’un secteur de la population canadienne.
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Relations avec leurs partenaires du Sud

Les politiques de coopération évoluent de manière permanente et évolueront encore suite aux crises qui se produisent dans le monde entier et dans tous les milieux. Ces changements n’ont pas favorisé les mouvements sociaux et encore moins les femmes autochtones, étant donné qu’ils ont rompu certains processus et nous imposent sans cesse de nouveaux « ingrédients », qui font que nous devons élaborer un nouveau “menu”. Souvent, ce menu étant totalement nouveau, plutôt que de remplir notre estomac, il nous rend malades. […] Les femmes en général et le mouvement féministe en particulier, ont été critiques et autocritiques. Je pense qu’il est aussi pertinent que la coopération le devienne…(134) Flory Yax Tiu, militante maya, Guatemala.

Cette position d’expert des ONG se répercute dans leurs relations avec leurs partenaires du Sud. Les ONG conçoivent leurs relations avec leurs partenaires du Sud de différentes manières. Si certaines ONG offrent des services ou viennent en aide à des populations démunies, d’autres soutiennent des initiatives du Sud ou participent aux luttes d’acteurs et actrices du Sud en faveur de la justice sociale.
Bien que les ONG considèrent leurs partenaires du Sud comme des alliés égaux, la structure même des rapports Nord/Sud tend à soumettre les organisations du Sud au programme des ONG du Nord.
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2. 5 Citoyen-ne-s du monde : consommation et solidarité ?

La dernière manifestation de solidarité internationale que nous voudrions aborder dans ce chapitre est celle de la citoyenneté mondiale. De nos jours, l’altermondialisme se présente bien souvent sous l’angle de l’action citoyenne. Pétition par un clic sur internet, tourisme solidaire, consommation responsable sont autant d’alternatives proposées aux citoyen-ne-s rêvant d’un monde plus juste.


La citoyenneté mondiale et le tourisme équitable

Bien que les séjours de coopération internationale soient une forme particulière de voyage à l’étranger, il est intéressant de noter les chevauchements entre ces voyages et les nouvelles alternatives de tourisme éthique. De nombreuses organisations sociales, agences gouvernementales et ONG offrent maintenant des possibilités de voyage pour des personnes du Nord soucieuses de réaliser des voyages dans le Sud qui soient socialement responsables. Nommées tourisme « équitable », « réalité », « responsable » ou « solidaire », ces options sont à la hausse, offrant aux ressortissants du monde occidental la possibilité de combiner tourisme et éducation politique, bénévolat, militantisme, et/ou travail de lobbying. L’ONG étasunienne Global Exchange en est un bon exemple. Elle offre des «  tours-réalité pour des voyageurs avec conscience politique »(143), lesquels se recrutent principalement au sein de la classe moyenne blanche des États-Unis. Selon les termes de l’ONG, les touristes sont appelés à voyager en tant qu’«ambassadeur citoyen». Ses forfaits incluent la visite de communautés locales dans le but de faire connaître leurs conditions de vie et d’ainsi sensibiliser les participant-e-s aux injustices mondiales. Les reality tour de Global Exchange mettent l’accent sur les mouvements sociaux pour donner de la visibilité à la résistance et « à l’ingéniosité des populations locales ».
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Qu’est-ce que la citoyenneté mondiale ?

La citoyenneté mondiale est difficile à définir. Elle renvoie à une conscience de l’interdépendance des habitant-e-s de la Terre qui génère une sorte de « communauté globale ». Les citoyen-ne-s du monde se caractériseraient ainsi par un sentiment d’appartenance qui va au-delà de l’État ou de la nation pour concerner l’humanité entière. Ils et elles se sentiraient ainsi lié-e-s au devenir de la planète et de tous les êtres humains, et souhaiteraient par conséquent alléger les injustices mondiales, en respectant la planète et les droits de chacun-e. Par exemple, la Fondation Clinton, du nom de l’ancien président étasunien, décerne chaque année les Prix de la citoyenneté mondiale (148) « qui récompense des individus extraordinaires démontrant un leadership visionnaire pour affronter les grands défis mondiaux. »
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Les limites de l’action citoyenne

Le commerce du café équitable illustre bien ces dynamiques à double tranchant. D’un côté, certains projets de commerce équitable favorisent l’organisation des travailleuses et travailleurs selon un modèle coopératif et permettent d’élever substantiellement les revenus des petits producteurs en réduisant les échelons de la chaîne d’exportation. Ce type d’achat sensibilise les consommatrices et consommateurs du Nord,à la provenance du produit et à la réalité des producteur-trice-s. D’un autre côté, on ne peut passer sous silence le fait que le commerce du café ou du chocolat, bien qu’équitable, poursuit l’accaparement des terres paysannes pour des cultures de produits de luxe destinés à l’exportation au détriment des cultures de subsistance nécessaires à la souveraineté alimentaire des populations locales. Les grandes multinationales de l’alimentation peuvent ainsi pénétrer ce nouveau secteur de consommation puisque les fondements de leur commerce, issus des échanges coloniaux, loin d’être remis en cause, se voient légitimés au moyen d’un sceau éthique. Nestlé, Al Van Houtte, Starbucks et Proctor & Gamble redorent ainsi leur image (même McDonald’s a sorti son propre café équitable en Suisse). Pour ces multinationales, le développement durable est avant tout une perspective de profit durable :

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Chapitre 3 Canadien-ne-s en solidarité internationale

Lorsque nous clamons notre solidarité avec les peuples du Sud, que nous exigeons pour eux (ou avec eux ?) des droits et du développement, nous lançons cet appel depuis nos écoles, notre confort, notre sécurité. Avant nous, d’autres bonnes intentions ont été formulées à l’égard des ” peuples étrangers ” pour leur apporter les bienfaits de notre civilisation, de notre modernité. Il y a 500 ans, l’Occident prétendait exporter ses valeurs hors de ses frontières, l’entreprise s’est soldée par le génocide et l’esclavage de millions d’êtres humains. Ces cicatrices divisent aujourd’hui le monde. En tant qu’Occidentaux, blancs pour la majorité, lorsque nous parlons du ” Sud “ou des pays ” sous-développés “, nous parlons de cette histoire coloniale. Et alors que notre gouvernement exporte la paix, les droits et la démocratie, c’est cette même histoire qui se poursuit sous les bottes de nos soldats, derrière les dollars investis par nos compagnies. Nous tissons des liens avec les perdant-e-s de cette histoire et puisque nous voyons en eux et elles nos égaux, nous refusons de croire en la fatalité de leur pauvreté, de leurs violences, de leur ” retard ” : nous accusons un système qui érige son pouvoir en les écrasant. Pourtant, nous sommes confortablement installé-e-s au centre de sa victoire, jouissant des privilèges du peuple conquérant.

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3.1 Privilèges spécifiques à l’exercice de la solidarité internationale

Autant les personnes engagées dans des actions de solidarité internationale depuis leur terre natale que les coopérant-e-s qui travaillent à l’étranger possèdent des privilèges propres à leur position de Canadien-ne: la citoyenneté, le passeport, la position et l’image du Canada sur la scène internationale sont autant d’éléments, en apparence banals, qui confèrent à celle ou celui qui les possède des privilèges indéniables.


Le loisir de la lutte

L’un des privilèges les plus déterminants est peut-être celui qui concerne le confort et la sécurité qu’offre la société canadienne en tant que pays riche où le conflit social est atténué grâce à un (fragile) cadre de droits. Bien que les Canadien-ne-s soient touché-e-s par les injustices mondiales (qu’il soit question de destruction écologique, d’inégalités économiques, de militarisation, etc.), ils et elles n’en sont pas les plus affecté-e-s. Il en ressort que la solidarité, le militantisme et l’action politique en général se présentent à nous comme une option parmi d’autres, un choix souvent personnel. En comparaison, plusieurs mouvements de résistance au Sud sont issus d’une nécessité de survie immédiate. Elle ne peut se circonscrire à un horaire de travail de 9 à 5 ni se limiter au temps libre. De plus, cette résistance au Sud implique généralement des représailles hautement plus violentes qu’au Nord. Au sein d’un mouvement de solidarité Nord/Sud, ces conditions très différentes entre les membres sont déterminantes en ce qui a trait aux rapports qu’ils entretiennent.

En ce qui concerne les conflits socio-environnementaux par exemple, de multiples mobilisations sont menées au Canada par les communautés directement affectées (et leurs allié-e-s), qu’il soit question de s’opposer à l’exploitation des sables bitumineux ou des gaz de schiste ou aux projets de centrales hydroélectriques ou nucléaires. Dans ces cas, la résistance n’est pas nécessairement un choix personnel, elle peut se présenter comme la seule option pour un village québécois souhaitant assurer la pérennité de ses ressources naturelles ou de son économie locale. Soulignons néanmoins que les conséquences, pour les opposant-e-s, ne sont pas comparables à celles que doit affronter, par exemple, une communauté autochtone de Colombie en lutte contre une entreprise minière canadienne qui n’hésitera pas à recourir à des acteurs armés pour faire taire l’opposition.

Imaginons le cas d’activistes canadiennes lançant un appel à la solidarité pour dénoncer la répression subie par une communauté du Sud mobilisée contre un projet minier canadien. Alors que l’engagement politique des membres de la communauté représente, pour certain-e-s, l’unique voie pour protéger leurs moyens de subsistance et suppose des risques pour leur intégrité physique et celle de leur famille, l’engagement des activistes canadiennes contre ce projet n’aura pas de conséquences immédiates sur leurs conditions de vie. Ces dernières peuvent décider de consacrer à cette campagne leurs temps libres ou de l’oublier quelques jours pour prendre du repos. Elles ont en outre le privilège d’analyser la situation à tête reposée, avec recul, ce qui peut les amener à prôner une stratégie juridique ou de lobbying lente et laborieuse et à condamner les irruptions de violence de la part de la population locale en y voyant un manque de stratégie. La situation inverse est également probable : les activistes canadiennes peuvent voyager, se rendre sur les lieux du conflit et engager des actions de confrontation directe (comme elles auraient choisi de le faire au Canada). Ce faisant, elles risquent tout au plus la déportation (sauf exceptions) alors que la communauté affectée sera ensuite victime d’une intensification de la répression.

Si leur organisation canadienne offre un soutien financier, médiatique, technique, etc., au mouvement de résistance local, il y a fort à parier que leur lecture (extérieure) du conflit aura une influence déterminante sur la conduite des actions bien qu’elles ne soient ni les principales affectées par l’exploitation minière et la répression ni les protagonistes du mouvement de résistance.

Où sont les ex-coopérant-e-s ?
La dimension de la solidarité en tant que décision personnelle (plutôt que nécessité) nous offre le privilège de choisir nos implications sociales. Bien souvent, celles-ci sont fonction de notre parcours personnel (réseau social, expériences, réflexions politiques, etc.) et sont donc sujettes à changements, particulièrement chez les jeunes. Pour cette raison entre autres, l’enjeu de la rétention des coopérant-e-s à leur retour de stage est un défi de taille pour les OCI. L’implication des ex-coopérant-e-s au sein de l’organisme qui a encadré leur stage est pourtant essentielle pour assurer la pérennité des liens de solidarité. Les ex-coopérant-e-s sont invité-e-s à témoigner de leurs expériences, à mobiliser de nouveaux appuis pour le projet, à participer activement aux campagnes de sensibilisation au Québec, etc. Néanmoins, nombreux sont les OCI qui déplorent la perte de contact avec leurs ex-coopérant-e-s qui, une fois l’activité de « retour terrain » réalisée, coupent les ponts avec l’organisme.

De la même façon, les ressortissantes étrangères sur le terrain ont l’immense privilège de pouvoir se soustraire de la situation lorsque celle-ci devient trop dangereuse. En cas de maladie, de menaces politiques, de catastrophes naturelles ou tout simplement à la fin de notre séjour, nous brandissons notre passeport et rejoignons la sécurité, le confort et les services de santé de notre pays. Bien que plusieurs coopérantes racontent qu’elles ont l’impression, pendant leur séjour à l’étranger de « vivre comme les gens de la place », la seule existence de cette « porte de sortie » que représente la citoyenneté canadienne fait en sorte que nous ne partagerons jamais les mêmes conditions de vie. Dans une situation d’urgence, notre vie (canadienne) revêt une valeur supérieure à celle des habitant-e-s locaux : les portes de l’ambassade s’ouvriront, des pressions politiques pourront être déployées, même les médias internationaux (entendre occidentaux!) s’intéresseront à notre cas personnel.

PARCOURS DE SOLIDARITÉ

Le PASC est né à la suite de mobilisations entourant le Sommet des Amériques de Québec (2001). En 2003, des membres du Comité Amérique Latine de la Convergence des luttes anti-capitalistes (CLAC) et de Rebelles sans frontières, un groupe de l’Association syndicale étudiante (ASÉ) de l’UQAM, se sont réuni-e-s pour choisir un processus de résistance à appuyer afin de mener une action de solidarité à long terme.

Les personnes présentes avaient des lien de solidarité avec le peuple mapuche au Chili et avec le mouvement de récupération des usines en Argentine; de plus, une militante de la CLAC venait de passer huit mois aux côtés des communautés afrodescendantes en résistance dans le département du Choco, en Colombie.Sa présence avait notamment servi à repousser plusieurs incursions paramilitaires. Comme c’était le projet le plus concret et qu’il concordait avec nos objectifs politiques, nous avons formé le PASC.

Cette question de choix est centrale dans l’existence à long terme du collectif. En effet, bien qu’existe un engagement collectif à long terme envers les luttes que nous appuyons, l’implication des individu-e-s membres et des accompagnateur-trice-s est subordonnée à leurs projets de vie personnels, lesquels sont changeants.


Passe V.I.P avec les autorités locales

Situation injuste s’il en est une, en tant que représentantes d’ONG du Canada, nous nous voyons offrir un statut particulier aux yeux des autorités locales : forces de l’ordre, hauts fonctionnaires, élu-e-s, etc. Quand les portes des bureaux gouvernementaux se ferment devant l’organisation partenaire du Sud, elles s’ouvrent devant nous. Non seulement la vie des citoyen-ne-s des pays riches est dotée d’une valeur ajoutée, leur discours également revêt une crédibilité supérieure. Ce privilège est à la base de l’accompagnement international et de l’observation internationale. La seule présence « d’internationaux » dans une région de conflit crée un effet dissuasif auprès des autorités responsables de la répression : le coût politique associé à la mort d’une étrangère (du Nord) est nettement plus élevé que la mort d’une citoyenne (du Sud). De la même façon, les revendications formulées par l’ONG du Nord auront plus de poids que celles présentées, année après année, par un ensemble d’organisations locales. Plusieurs organisations du Sud utilisent ainsi leur contact avec des ONG du Nord afin de faciliter leur accès aux décideurs publics.


Riche malgré soi

Enfin, l’argent est une autre source de privilèges pour les Canadien-ne-s. Bien que les militantes du Nord puissent se percevoir comme appartenant à la classe populaire dans leur pays d’origine, il n’en reste pas moins qu’à l’étranger, elles auront toujours plus d’argent que n’en possède la population locale. Le fait de renoncer au confort économique le temps d’un séjour solidaire n’efface en rien nos privilèges économiques. En cas de nécessité, nous pourrons, par exemple, nous faire soigner dans un hôpital privé. Et sans même parler de nécessité d’urgence, nous avons généralement le loisir de « prendre des vacances » lors d’un contrat de coopération (un concept souvent étranger aux populations pauvres), de voyager dans le pays, d’acheter des objets exotiques, de choisir notre alimentation, etc. Ce privilège économique crée par ailleurs un déséquilibre au sein du rapport de solidarité puisque nous avons beau vouloir délimiter notre action dans un cadre précis, par exemple, celui de la défense des droits ou de l’éducation, pour ne pas tomber dans la charité, nous possédons des ressources qui pourraient permettre de résoudre temporairement certains problèmes jugés fondamentaux par la population locale. Sur le terrain, la coopérante doit par exemple refuser de donner 2 $ à sa voisine qui n’a pas l’argent nécessaire pour acheter les médicaments de son enfant et lui expliquer qu’elle ne peut répondre à tous les besoins de la communauté, qu’elle n’est pas là pour faire de la charité. Cette même coopérante est enseignante à l’école de l’enfant malade. Elle possède le privilège de décider quelle solution est prioritaire : donner de l’argent pour les enfants malades ou leur enseigner. Sa voisine, pour sa part, ne peut que recevoir l’aide de la coopérante telle qu’elle est définie par cette dernière.

Si le privilège économique est criant dans les rapports interpersonnels entre « internationaux » et population locale, il ne faut pas perdre de vue qu’il est d’autant plus déterminant quant aux relations entre l’ONG du Nord et l’organisation du Sud, puisqu’il est inscrit dans un rapport contractuel .

PARCOURS DE SOLIDARITÉ

Les accompagnatrices et accompagnateurs du PASC assument la totalité des frais de leur séjour en Colombie. D’un côté, cette obligation de débourser pour faire de l’accompagnement en Colombie fournit une preuve de la motivation de celles et ceux qui désirent partir en Colombie; de l’autre côté nous réalisons que ce sont les gens ayant les meilleures situations économiques qui sont avantagés par cette pratique. 

Le Canada, un Bon Samaritain

Malgré son appui politique à des régimes répressifs (par exemple la Colombie), son occupation militaire à l’étranger (par exemple en Afghanistan et à Haïti [Voir : Annexe 2]), sa responsabilité face aux violations de droits humains relatives à son industrie minière, ses politiques agricoles qui détruisent l’autonomie alimentaire des pays du Sud, etc., etc., etc., le Canada se présente sur la scène internationale comme le défenseur des droits humains et de la démocratie, le « Père sauveur des petites nations ».

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L’Occident en Juge et Sauveur

« Seul le dominé fait figure de péril, de fléau ou de menace, l’oppresseur étant le seul véritable héros de l’Histoire. »(153) Lise Noël, historienne québécoise.

Les États impérialistes ne sont pas uniquement des puissances économiques, technologiques et militaires, elles sont également des puissances morales, c’est-à-dire qu’elles définissent les normes et les valeurs de la société mondiale tout en les présentant dans un discours universel. Ainsi, lorsqu’il est question de l’intérêt de la « communauté internationale », c’est en fait des intérêts des pays puissants qu’il s’agit et non pas des intérêts du Burundi et du Laos. Dans les actions de solidarité internationale, cela se traduit par une triste réalité : les dénonciations réalisées par une ONG canadienne auront toujours plus de poids politique que celles formulées par une ONG du Sud. Les organisations du Sud l’ont bien compris et font appel à l’occasion à leurs partenaires du Nord pour donner du crédit à leurs revendications et légitimer leurs actions.

Les Occidentaux en séjour à l’étranger sont toujours appelées à agir en tant qu’observatrices internationales, soit officiellement, dans le cadre d’une mission d’observation internationale, soit officieusement, par le fait de rapporter dans leur pays d’origine ce qu’elles ont vu (au moyen d’articles, d’expositions, de vidéos, de conférences, ou simplement par les conversations avec leur entourage). L’observation internationale a ceci de pervers qu’elle suppose une qualité exceptionnelle chez l’observateur : celle d’être impartial, invisible et universel. Les prémisses à la base de l’observation internationale sont qu’un « tiers-parti » peut témoigner de manière objective d’une situation à laquelle il est extérieur. Plusieurs questions découlent de cette affirmation : L’objectivité existe-elle ? Peut-on être neutre face à une situation ? Pourquoi les Canadiennes seraient-elles dotées de ces qualités exceptionnelles ? L’observatrice appréhende et juge une situation à partir de son point de vue, de sa culture, de sa position sociale, de son idéologie; elle ne peut être « universelle ». Elle ne peut non plus être invisible, sa présence et son action influent sur la situation locale (par exemple, la simple présence d’une délégation canadienne dans une zone de conflit pourrait dissuader les forces gouvernementales de recourir à la violence temporairement; les observatrices internationales ne pourront donc pas témoigner des crimes commis par l’État).

Le public occidental contribue à cette glorification du rôle de témoin extérieur, en supposant à l’étrangère la capacité de voir et de comprendre les dynamiques locales/globales, que la population locale ne peut apparemment pas voir par elle-même. Que ce soit par la position d’experte ou simplement par celle d’observatrice, cette survalorisation des présupposées connaissances occidentales renforce le paternalisme et les rapports de pouvoir, ainsi que le rapporte Gada Mahrouse, dans une étude sur les « journalistes citoyens » en zone de guerre :

Les activistes racontent que, dans des entrevues, ils ont été amenés à jouer le rôle de l’observateur objectif ou celui de l’autorité en la matière. De manière générale, ils disent être perçus par les médias occidentaux comme étant plus informés ou davantage crédibles que la population locale. Ils racontent que les médias leur demandaient souvent de commenter une situation politique que, dans plusieurs cas, ils connaissaient peu.(154)

Par ailleurs, lorsque des ressortissantes du Nord se rendent dans des zones de conflits, la tendance médiatique est de porter l’attention sur celles-ci et sur les risques qu’elles encourent, plutôt que sur le conflit lui-même ou sur la population affectée. Sous-jacent à ce phénomène est le fait qu’il est plus facile de rejoindre le public du Nord avec l’histoire de l’une de leurs semblables. L’important alors n’est pas la situation comme telle, mais qu’une « semblable », une Occidentale, Blanche de préférence, ait pu en témoigner.

Si l’habileté à provoquer la compassion du public dépend du médiateur blanc-occidental, ces pratiques activistes sont alors très loin d’être contre-hégémoniques. Attribuer de l’humanité à l’Autre est en fait la forme la plus raffinée de blanchité.(155) Gada Marhouse, institu Simone de Beauvoir

Un exemple frappant est celui du général Roméo Dallaire et du Rwanda. Dans un article intitulé « Stealing the Pain of Others », Sherene Razack(156) démontre comment le génocide rwandais est devenu objet d’intérêt pour les Canadien-ne-s seulement lorsqu’on le leur a présenté à travers les yeux d’un Canadien. Parce que Dallaire se souciait de ce qui se passait au Rwanda, tous les Canadien-ne-s devaient s’en préoccuper. Dallaire a été élevé au rang de héros national: le génocide au Rwanda était son histoire personnelle de traumatisme et de désespoir. Cette figure forge, selon Razack, une conscience nationale puissante dans laquelle les Canadien-ne-s se convainquent d’être doté-e-s d’un caractère moral élevé vis-à-vis de l’humanité. L’imaginaire canadien est nourri de ces exemples que nous consommons et qui nous font croire en notre propension exceptionnelle à la compassion et à l’action humanitaire, par un processus que S. Razack nomme « le vol de la souffrance des Autres ».

Loin de mettre en cause les bons sentiments du général Dallaire, il s’agit seulement de rappeler qu’il est question, dans cette histoire, d’un héritier du colonialisme, représentant du Canada, posté en Afrique avec ses armes et ses troupes, et non à proprement parler d’une victime.

« Je veux suggérer que la souffrance des Rwandais a été transformée en notre propre plaisir, dans ce bon sentiment que nous offre la contemplation de notre propre humanité. »(157)Sherene Razack, sociologue canadienne.

Finalement, mentionnons que le témoignage suppose une sélection de l’information à transmettre. La personne qui rapporte des faits choisit son discours, de manière plus ou moins consciente; elle ne peut donc prétendre n’être qu’un outil de transmission de l’information. Pour l’activiste qui appuie une cause en solidarité avec d’autres populations, la question se pose : est-il possible de donner la voix aux sans-voix plutôt que de prendre la parole pour eux ?(153)

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153 Noël, L’intolérance, p. 22.
154 Trad.libre. « The activists also spoke of assuming, in interviews, the roles of objective observers or authorities. In
general, they said they were perceived by Western media to be more knowing or trustworthy than the local people and
were frequently asked by media to comment on the politics of situations that, in many cases, they knew little about.»
Mahrouse, « The Compelling Story of the White/Western Activist …», p. 261.
155 Trad.libre. « Assign If the ability to elicit compassion among bystanders depends on a white/Westerner mediator, such activists’ practices are far from counter-hegemonic in their effects. Assigning humanity to the Other is, after all,
whiteness in its finest form.» Mahrouse, « Race-conscious transnational activists with cameras… », p. 99.
156 Razack, « Stealing the Pain of Others… »
157 Trad.libre. « I want to suggest that the suffering of the Rwandans has been transformed into our pleasure, the good feeling that we get from contemplating our own humanity.» Razack, « Stealing the Pain of Others… », pp. 382-383.


La voix des sans-voix

Lors de ses allocutions publiques contre la guerre du Vietnam, Martin Luther King invitait les Américain-e-s à parler pour les victimes « sans-voix » des États-Unis. En pleine guerre du Salvador, les discours de Monseigneur Romero se proposaient d’être « la voix des sans-voix », ses homélies reprenaient le cri d’un peuple opprimé en rébellion.

Nous sommes tous appelés à prendre la parole pour les faibles, pour les sans-voix, pour les victimes de notre nation… Martin Luther King, 4 avril 1967.

Ces homélies veulent être la voix de ce peuple, elles veulent être la voix de ceux qui n’en ont pas. C’est pour cela, sans doute, qu’elles ne plaisent pas à ceux qui en ont trop. Monseigneur Romero, 29 juillet 1979.

Malgré la popularité des médias citoyens et la multiplication des tribunes d’opinions, la métaphore des « sans-voix » est toujours d’actualité dans une époque dominée par une idéologie qui stigmatise tout discours d’opposition. Cette image renvoie d’une part à la domination des médias occidentaux sur la scène internationale mais également aux privilèges des citoyen-ne-s éduqué-e-s des pays riches qui jouissent d’un meilleur accès aux médias et détiennent davantage de ressources leur permettant de diffuser leur message.
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De la pitié à l’empathie

>L’empathie désigne la capacité d’un individu à percevoir et à comprendre les sentiments, émotions et les ressentis d’une autre personne en ayant la capacité de se projeter à sa place mais sans nécessairement ressentir ces sentiments ou émotions ainsi que leurs conséquences.(160) L’empathie implique donc un processus de recul intellectuel qui vise la compréhension des états émotionnels de l’Autre, sans la prétention de pouvoir vivre en chair ces émotions..

> Pitié Sentiment d’affliction que l’on éprouve pour les maux et les souffrances d’autrui, et qui porte à les (voir) soulager[…].(161)

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Images de la souffrance

L’émotion ressentie devant une situation de souffrance dépend aussi de l’explication qui lui est donnée. La souffrance est souvent considérée comme normale, inévitable. Presque chaque jour, les médias rapportent l’existence de catastrophes dites naturelles à travers la planète : ouragans, tremblements de terre, inondations, sécheresses, famines, etc. Nous en venons presque à croire que, dans certaines zones géographiques, les populations sont condamnées à subir ces catastrophes qui se suivent l’une après l’autre, entraînant destruction et morts. Sinon comment expliquer que le malheur tombe toujours à la même place?
Cette approche dépolitise les situations dites d’urgence humanitaire (« les conséquences des catastrophes naturelles sont inévitables », « les guerres sont des malchances ou la manifestation d’une nature chaotique », etc.) permettant de se détacher de toute responsabilité.

L’idée que l’Afrique serait en quelque sorte congénitalement engluée dans des guerres tribales d’un autre âge les menant à s’entretuer tous jusqu’au dernier est un mythe colonialiste qui profite bien aux sociétés parce qu’elles peuvent ainsi se laver de toute responsabilité.(163)Alain Deneault, auteur de Noir Canada

La famine : une calamité naturelle ?
Pour l’ancienne présidente d’Action contre la faim, Sylvie Brunelle (I), « les famines sont aujourd’hui le produit de la géopolitique, la malnutrition celui du sous-développement ».(164) Puisque la production alimentaire à l’échelle planétaire est suffisante pour nourrir les six milliards d’êtres humains, les famines et la malnutrition ne peuvent être dues à des conditions naturelles: des choix politiques se cachent derrière cette souffrance humaine trop souvent présentée comme une fatalité.

La géographe classe les famines selon trois catégories :

1)La famine idéologique ou traditionnelle : véritable arme de guerre utilisée par un gouvernement ou un groupe au pouvoir pour faire céder une population, souvent minoritaire, et la forcer à se déplacer (exemples : Arménie, 1915; Ukraine 1932-1933; Juifs et Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale).

2)La famine exposée ou instrumentalisée : qui réfère à l’instrumentalisation d’une situation précaire (rareté des ressources due à des mauvaises récoltes, catastrophes naturelles, etc.) que les pouvoirs publics décident consciemment de laisser s’envenimer pour ensuite lancer un cri d’alarme dans les médias internationaux et revendiquer une aide humanitaire d’urgence. Cette aide permettra à l’État de reconstruire sa légitimé face à la population (au moyen de la distribution de denrées de premières nécessité) et de se repositionner sur la scène internationale en attirant les projecteurs des ONG (exemples : Éthiopie, Soudan, Irak, Corée du Nord).

3)La famine créée ou famine verte : concerne les régions excédentaires (c’est-à-dire où la production alimentaire dépasse les besoins d’alimentation de la population locale). Ces famines sont provoquées et planifiées dans le cadre de politiques relatives par exemple aux quotas d’exportation ou aux réserves de nourriture gérées par l’État ou par les oligopoles de l’alimentation (exemples : Libéria, Sierra Leone).

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(I) Sylvie Brunelle, auteure de plusieurs ouvrages sur le sujet dont la Faim dans le Monde, comprendre pour agir (PUF, 1999), Famines et politique (Presses de Sciences-Po, 2002), ainsi que Nourrir le monde. Vaincre la faim (Larousse, 2009), a démissionné de son poste à l’ACF en 2002, non sans adresser de sévères critiques à l’instrumentalisation de l’humanitaire.

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163 Alain Deneault, dans Gheller, « Dénoncer l’exploitation canadienne en Afrique. Entretien avec Alain Deneault. »
164 Brunelle, Sylvie. 2002. Famines et politique. Presses de Sciences-Po, p 53


Des victimes actrices de changement

Tout comme la souffrance relève d’une construction sociale, la position de victime est également le fait de discours et de perceptions. Il y a ainsi plusieurs manières de considérer une « victime ». Elle peut être vue comme une personne impuissante. Devant elle, nous ressentons de la pitié et une obligation morale à l’aider, car elle serait incapable de remédier à sa situation par elle-même alors que nous prétendons posséder les moyens pour améliorer sa condition.

Les victimes sont par nature impersonnelles et interchangeables. Elles apparaissent, figurantes passives d’un marketing émotionnel, dans les courriers des ONG. La plupart des individus concernés ne se pensent pas, d’abord, comme des victimes, mais comme des individus confrontés à un drame.[…] C’est le regard d’un autrui étranger qui les construit en victimes. L’inégalité et l’absence de réciprocité caractérisent le rapport entre sauveteurs et sauvés.(165) Bernard Hours, antropologue français

.
Ainsi, le mouvement féministe, notamment au Québec, dans son combat contre la violence, a adopté le terme de « survivante », afin de mettre l’accent sur la force de la victime. En considérant qu’une victime possède les capacités et le potentiel de reprendre du pouvoir sur sa vie (notion d’empowerment), il est alors possible de la voir comme une actrice, une alliée, une partenaire.

Ailleurs dans le monde, le terme de « victime » a été publiquement revendiqué pour mettre à jour les crimes (et donc la présence de criminels et de victimes). C’est le cas du Mouvement de victimes de crimes d’État, présent dans différents pays aux prises avec une dictature ou un régime répressif déguisé en États de droits. Cette revendication du statut de victime représente le passage d’une position passive et neutre à une position d’acteur, dénonçant les crimes commis par les États, et revendiquant le droit à la vérité, à la justice, à la réparation intégrale. Le chapitre colombien de ce mouvement international se définit ainsi :

Le Mouvement national des victimes de crimes d’État […] revendique le droit à s’organiser et à se mobiliser: c’est un engagement en faveur de la dignité des victimes qui élaborent des propositions politiques, qui résistent à l’oubli et qui refusent la conciliation et la concertation sur la question des droits des victimes avec un État qui a été capable de protéger des responsables de crimes, allant ainsi jusqu’aux limites les plus honteuses de l’impunité.(166)

Enfin, certain-e-s activistes, préfèrent le terme « les plus affectés » à celui de « victimes » afin de souligner que nous sommes tous et toutes affecté-e-s par les systèmes de pouvoir responsables des crimes contre l’humanité tout en reconnaissant néanmoins que certain-e-s sont sur la ligne de front. Le colonialisme, l’agro-industrie, l’exploitation minière, le militarisme, etc. ont des effets ravageurs partout sur la planète, le Canada n’y échappe pas. Cette lecture nous semble enrichissante afin de situer notre action de solidarité internationale en lien avec les luttes qui se mènent au sein de notre propre pays.

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165 Hours, « Derrières les évidences… »
166 Trad.libre. « El MOVICE, […] demuestra una personalidad y una identidad que reivindica el derecho a organizarse,
movilizarse, y en todo caso es una apuesta por la dignificación de las víctimas, que elabora propuestas políticas, que se resiste al olvido y se niegan a conciliar y a concertar los derechos de las víctimas con un Estado, que ha sido capaz de favorecer a los victimarios hasta el límite de la más vergonzosa impunidad». Movimiento nacional de víctimas .[En
ligne] : www.movimientodevictimas.org


Qui aide qui ?

Au retour d’un projet de solidarité à l’étranger, la grande majorité des coopérant-e-s a l’impression « d’avoir reçu davantage qu’elle a donné ». À l’instar des autres stagiaires du programme Québec sans frontières (QSF) qui ont participé à l’étude sur les privilèges de la coopération internationale, Chantale remarque « J’ai beaucoup appris là-bas, eux m’ont beaucoup appris. J’ai le sentiment qu’ils m’ont donné beaucoup plus que moi j’ai pu leur être utile. »(167) Le propos n’est pas ici de juger de l’utilité de ces stages d’initiation à la coopération internationale pour la population d’accueil mais bien de souligner que, contrairement à la charité qui se prétend désintéressée, l’acte de solidarité est un acte intéressé duquel on tire des avantages. Cette prise de conscience peut aider à déconstruire l’image altruiste du Bon samaritain et ainsi déjouer les rapports de pouvoir qui en découlent.
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Aidant-e ou Allié-e

Rares sont les personnes qui s’engagent consciemment dans un travail de solidarité internationale pour bonifier leur CV ou pour économiser les coûts d’une thérapie (du moins, espérons-le!), nous nous engageons pour une cause, avec nos valeurs et nos croyances. Nous n’aidons donc pas les Autres, nous aidons notre cause qui, généralement, est une cause partagée par ces Autres, d’où la relation de solidarité. Cette distinction semble essentielle pour briser les rapports de pouvoir entre le Bon Samaritain du Nord et les victimes ou bénéficiaires du Sud. En présentant nos actions de solidarité internationale comme étant réalisées pour les organisations et populations du Sud, ces dernières deviennent l’objet de notre solidarité et nous en sommes les uniques sujets. Au contraire, si nous reconnaissons agir pour nos convictions, l’objet de notre solidarité est alors un monde meilleur et nos partenaires du Sud sont, tout comme nous, les sujets de cette solidarité.

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Conclusion : À suivre…

Le cahier « Notre solidarité : Un territoire à décoloniser » est en chantier… Nous y avons soulevé plusieurs questionnements qui nous habitent, issus de notre expérience au sein du PASC. Espérons que ceux-ci pourront servir à toutes celles et ceux qui croient en la solidarité internationale.

Pour cela, nous croyons qu’il est nécessaire d’explorer davantage les questions soulevées dans ce document. Nous invitons tous les groupes qui font de la solidarité internationale le centre ou une partie de leur action et qui partagent nos préoccupations à poursuivre ces réflexions et à prendre le temps nécessaire pour se pencher de manière critique sur leurs pratiques et leurs doutes quant à celles-ci.
Loin de vouloir provoquer découragement et résignation, nous espérons raviver la mémoire des luttes à l’origine de nos actions. Quelles sont les valeurs qui nous tiennent à cœur ? Quel est le changement social que nous voulons voir ? Quel est ce malaise, ce sentiment de révolte qui nous pousse à vouloir changer cet ordre social mondial ?

Enfin, en tant que Canadiennes, il nous semble important de conclure sur la nécessité pour l’action de solidarité internationale de prendre position vis-à-vis de l’État canadien. De manière sporadique, les critiques des politiques gouvernementales qui sont menées sur les plans national et international se font entendre, notamment sur la présence de l’armée canadienne en Afghanistan, les coupures de financement d’ONG, et le besoin d’encadrer l’activité des compagnies minières canadiennes. Cependant, il est important d’affirmer publiquement que le Canada est un pays colonial, les politiques étatiques qui ne font pas l’unanimité en sont autant de manifestations identifiables. Le Canada a été bâti sur la conquête de terres et la soumission des peuples autochtones, et aujourd’hui, l’État mène sa politique étrangère de manière à exercer un contrôle politique et à tirer sa part de richesses de l’économie mondiale sur le dos des populations des pays pauvres. Comment pouvons-nous être solidaires du Sud tout en soutenant par notre silence les politiques impérialistes de l’État canadien? La déloyauté vis-à-vis de la classe canadienne privilégiée et son principal représentant qu’est l’État est une condition nécessaire à l’exercice des solidarités.


Annexe 1 Esclavage, Génocide et Guerre au terrorisme

Une lecture anticoloniale du Canada

Au Canada, le terme de « suprématie blanche » a été banni du vocabulaire populaire où le discours sur le « multiculturalisme » pose le voile sur les tensions racistes de la société (i). Comme le note la sociologue canadienne Himani Bannerji, « L’appel multiculturaliste gomme en quelque sorte l’expérience coloniale et le caractère profondément eurocentrique de l’espace national canadien dans le but de recomposer et de relégitimer la nation afin de la rendre attrayante au plus grand nombre ».(171)

Ce discours bien pensant camoufle non seulement l’histoire du Canada, en tant que projet colonial, mais également les manifestations actuelles du racisme : les personnes racialisées restent confinées au bas de l’échelle salariale, sont sous-représentées dans les lieux de pouvoir et surreprésentées dans les institutions carcérales, pour ne nommer que ces phénomènes quantifiables. En ce qui concerne le Québec, Chantal Maillé, professeure associée à l’Institut Simone de Beauvoir, soulève la question suivante :
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Annexe 2 Le rôle des ONG au cœur de la tourmente: le cas d’Haïti

Note éditoriale : Nous osons à peine aborder le sujet, les camps sont tranchés et les accusations graves. Avec ce processus de réflexion critique, il nous aurait été impossible de passer à côté de l’exemple sous peine de contribuer à en faire un tabou. Il sera également impossible de venir à bout du sujet, il faudra poursuivre le débat. Nous espérons donner le goût aux lecteurs et lectrices de pousser la réflexion plus loin, afin de se faire leur propre idée.

Après plus de 500 années de colonisation, des politiques économiques coloniales toujours en vigueur, des catastrophes à répétitions, la plus grande proportion d’ONG par habitants au monde, Haïti est un cas où s’exacerbent et interagissent des contradictions douloureuses.

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Références

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