Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre. Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. […] L’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux : Amérique latine, Chine, Afrique. […] L’Europe est littéralement la création du tiers monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés. […] Et quand nous entendons un chef d’État européen déclarer la main sur le cœur qu’il lui faut venir en aide aux malheureux peuples sous-développés, nous ne tremblons pas de reconnaissance. Bien au contraire, nous disons : « c’est une juste réparation qui va nous être faite ». Aussi n’accepterons-nous pas que l’aide aux pays sous-développés soit un programme de « sœurs de charité ». Cette aide doit être la consécration d’une double prise de conscience, prise de conscience par les colonisés que cela leur est dû et par les puissances capitalistes qu’effectivement elles doivent payer. (26)
Frantz Fanon, intellectuel martiniquais.
Comme le souligne Frantz Fanon, figure de proue du mouvement anticolonial, les pays qui « donnent » sont ceux qui ont profité pendant des siècles du pillage des pays aujourd’hui contraints à quémander ou à accepter « l’aide ». Selon cette lecture, l’aide publique au développement (APD) doit se comprendre dans le contexte du système colonial qui l’a vu naître; elle répond aux intérêts politiques et économiques des donateurs. Mais qu’en est-il des autres formes d’aide et de solidarité ? Échappent-elles aux rapports de pouvoir inégaux entre le Nord et le Sud ? Pour alimenter la réflexion à ce sujet, mais également pour mieux comprendre nos propres pratiques, nous proposons de nous pencher sur les racines de la solidarité internationale. Quelle est l’histoire de ceux et celles qui nous ont précédés ? Dans quel contexte mondial se situe notre action ? Quelles sont les valeurs qui l’orientent ? Nous avons identifié trois larges courants qui influencent les pratiques actuelles des organisations dédiées à la solidarité internationale : 1) la charité chrétienne et l’humanitarisme, 2) l’internationalisme et 3) l’aide publique au développement. Dans ce chapitre, nous traçons un rapide portrait de ces trois courants tout en résumant quelques-unes des critiques qui leur sont adressées, pour ensuite cerner ce qui fait la spécificité du domaine de la coopération internationale, tel qu’entendu de nos jours.
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26- Fanon, Les Damnés de la Terre, p. 99-100.