Nommer les actrices

Si la mobilisation se mesure, généralement pour les hommes, en termes de participation aux
partis et aux pouvoirs politiques, de programmes gouvernementaux, de promesses électorales
visant à un accès à la citoyenneté définie par les constitutions, les lois et autres objectifs de
développement réaffirmés en termes de croissance. L’approche est plus complexe pour les
femmes, en raison du caractère patriarcal et masculin de l’État et du politique. La signification
nouvelle que leur ont donnée les pratiques du politique héritées de la colonisation et les
tentatives de modernisation sociale n’ont pas complètement brisé la marginalisation des
femmes dans des Républiques sans citoyennes. Les femmes se sont créé des espaces de
parole et de liberté dans des conditions difficiles d’accès au politique, en participant aux luttes
de libération, au soutien des hommes au pouvoir, sans recevoir la juste contrepartie de ces
efforts.-6- Fatou Sow, intellectuelle féministe, Sénégal.

Cependant, ces femmes sont aussi actrices de leur vie, sans cesse luttant contre et/ou
négociant avec l’ordre dominant, et gagnant ainsi quelques espaces de pouvoir. Face aux
différentes formes d’oppression qu’elles subissent, elles mettent en place des stratégies de
résistance propres. C’est précisément dans les marges créées par leur exclusion qu’elles vont
trouver des outils de résistance. Les ” lieux ” dans lesquels elles sont acculées (économie
informelle vs sphère dominante du capitalisme, sociabilité féminine populaire vs espace
public masculin dominant, etc.) sont en effet des espaces où peuvent émerger des outils et
des stratégies d’empowerment singuliers.-7-Meriem Rodary, candidate au doctorat, franco-
marocaine.

Comme le souligne Fatou Sow, les femmes sont généralement absentes des lieux de pouvoir officiels; toutefois, comme le rappelle Meriem Rodary, elles sont présentes au sein des initiatives communautaires qui participent à la construction d’un pouvoir populaire. Au Canada, selon une étude réalisée entre 2007 et 2009 -8-, les femmes constituent 76 % du personnel salarié des organismes sans but lucratif. (4) Elles représentent par ailleurs plus de la moitié des bénévoles et des donateur-trice-s-9-. Pour rendre compte de cette réalité, nous avons opté pour l’usage du féminin lorsqu’il est question de nommer les actrices de la solidarité internationale.

Une multitude de termes existent pour nommer ces actrices et les distinguer entre elles. Les humanitaires se différencient des coopérantes ou des stagiaires, et les militantes, (qui peuvent se différencier elles-mêmes des activistes), ne s’identifient habituellement pas aux précédentes. De manière très générale, les premières se définissent par leur intervention lors de situation d’urgence ou leurs valeurs humanistes; les secondes sont membres d’une ONG et contribuent au développement; les dernières se réclament de l’action de solidarité ou encore de la lutte sociale. Ces différenciations ont un sens politique et historique majeur, cependant ces appellations ne renvoient pas à des catégories étanches : un même individu peut prétendre à plusieurs d’entre elles. Ces identités ne sont ni fixes ni exclusives. Nous avons donc consciemment décidé d’utiliser plusieurs de ces appellations, en espérant que tous et toutes puissent se sentir interpellé-e-s par les questionnements et réflexions soulevés.

La manière de nommer les organisations est également source de débat. Le terme ONG n’a pas de définition unique, il n’appartient pas exclusivement au milieu de la coopération ou du développement.

Bien que ce terme englobe toute organisation non gouvernementale, nous avons choisi de le réserver aux organismes constitués principalement de personnel salarié qualifié et dont les membres ne sont pas les principales personnes affectées par les problèmes qu’ils entendent résoudre ni les principaux bénéficiaires de leurs programmes. Les organismes de coopération internationale (OCI) québécois correspondent donc à cette définition: OCI réfère, au Québec, aux organismes de coopération internationale qui s’identifient à l’action communautaire autonome. Les organisations sociales pour leur part se mobilisent autour d’enjeux directement liés aux conditions de vie de leurs membres.

Notons que la définition que nous proposons est loin de faire consensus.
Il importe, par ailleurs, de souligner que de nombreuses ONG, particulièrement celles du Sud, se considèrent comme faisant partie des mouvements sociaux alors qu’au Nord, les opinions sur le sujet divergent. [Voir à ce sujet : Une ONGéisation des mouvements sociaux ]

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(4) Mentionnons que selon cette même étude portant sur les ONBL canadiennes, « les hommes sont beaucoup
plus nombreux à occuper un poste de haute direction » tandis que les femmes sont plus nombreuses dans les
postes subalternes

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6-Sow, « Politiques néolibérales et alternatives féministes… »
7-Rodary, « De l’exclusion à la résistance : femmes, travail et classe …
8-Conseil RH pour le secteur communautaire. 2009. Étude sur la main d’oeuvre, réalisée de janvier 2007 à juin 2009. [En
ligne]: http://hrcouncil.ca/main-doeuvre/statistics.cfm (Consulté le 12 décembre 2010.)
9-Statistiques Canada. 2009. Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation (ECDBP). [En ligne]
http://www.statcan.gc.ca/cgi
bin/imdb/p2SV_f.plFunction=getSurvey&SDDS=4430&lang=fr&db=imdb&adm=8&dis=2#a1. (Consulté le 12
décembre 2010.) Voir aussi: Statistiques Canada. 2003. Force vitale de la collectivité : faits saillants de l’Enquête
nationale auprès des organismes à but non lucratif et bénévoles. [En ligne] http://www.statcan.gc.ca/pub/61-533-x/61-
533-x2004001-fra.pdf
. (Consulté le 12 décembre 2010.)