Rares sont les personnes qui s’engagent consciemment dans un travail de solidarité internationale pour bonifier leur CV ou pour économiser les coûts d’une thérapie (du moins, espérons-le!), nous nous engageons pour une cause, avec nos valeurs et nos croyances. Nous n’aidons donc pas les Autres, nous aidons notre cause qui, généralement, est une cause partagée par ces Autres, d’où la relation de solidarité. Cette distinction semble essentielle pour briser les rapports de pouvoir entre le Bon Samaritain du Nord et les victimes ou bénéficiaires du Sud. En présentant nos actions de solidarité internationale comme étant réalisées pour les organisations et populations du Sud, ces dernières deviennent l’objet de notre solidarité et nous en sommes les uniques sujets. Au contraire, si nous reconnaissons agir pour nos convictions, l’objet de notre solidarité est alors un monde meilleur et nos partenaires du Sud sont, tout comme nous, les sujets de cette solidarité.
En tant qu’accompagnatrice internationale, mes faits et gestes sont observés, commentés et analysés sans cesse. En premier vient le questionnement sur ma présence en Colombie : « Pourquoi cette personne se démène pour moi alors que je ne la connaissais pas avant d’être en prison et que la société m’a condamné? », « Pourquoi vient-elle partager nos conditions de vie difficiles? », « Pourquoi risque- t-elle la répression? », et la réponse qu’ils et elles trouvent est mon impératif de lutte, ce sens de la justice sociale, de la solidarité entre opprimé-e-s qui ne veut pas se taire. Moins évidente est mon analyse globale où l’emprisonnement d’une femme condamne la dignité humaine, où l’affirmation d’une communauté est la garantie d’existence des autres, où chaque acte de résistance ouvre des possibilités de subversion dans un monde étroitement interrelié au sein des mêmes systèmes de domination. […] Être notre être rebelle, c’est la première des interventions. Notre solidarité est politique, elle n’est pas désintéressée ou neutre. Elle doit être expliquée. Cette motivation, ce sens in-tranquille de la justice doit être expliqué dans nos actions et paroles quotidiennes, au-delà de la résistance précise que nous appuyons : dessiner le combat global. Cahier d’accompagnatrice du PASC, 2007.
Au retour d’un projet de solidarité internationale, les militantes reçoivent généralement l’admiration de leurs pairs et les conversations s’orientent fréquemment autour du sacrifice personnel plutôt que sur les motivations à la base de cette action solidaire. Abandonner la position confortable de « l’héroïne de retour au pays » pour adopter celle dérangeante de la « militante défendant des idéaux » n’est pas chose facile. Il est certes plus aisé de parler des difficultés éprouvées, des risques encourus, ou encore des curiosités exotiques, que de présenter son analyse politique et d’expliquer en quoi la réalité au Canada n’est pas étrangère à la situation à laquelle sont confronté-e-s nos allié-e-s au Sud et en quoi leurs luttes sont liées au nôtres.
Peut-être s’agit-il justement ici d’abandonner ce privilège du Canadien qui voit son action reconnue socialement comme charitable et juste, alors que le militantisme des partenaires au Sud est souvent perçu dans leur société comme de la dissidence sociale? Puisque nous avons le privilège d’avoir une voix davantage entendue et de pouvoir exprimer nos idées sans mettre en péril notre vie, ne devrions-nous pas parler au nom de nos idéaux ?