Le commerce du café équitable illustre bien ces dynamiques à double tranchant. D’un côté, certains projets de commerce équitable favorisent l’organisation des travailleuses et travailleurs selon un modèle coopératif et permettent d’élever substantiellement les revenus des petits producteurs en réduisant les échelons de la chaîne d’exportation. Ce type d’achat sensibilise les consommatrices et consommateurs du Nord,à la provenance du produit et à la réalité des producteur-trice-s. D’un autre côté, on ne peut passer sous silence le fait que le commerce du café ou du chocolat, bien qu’équitable, poursuit l’accaparement des terres paysannes pour des cultures de produits de luxe destinés à l’exportation au détriment des cultures de subsistance nécessaires à la souveraineté alimentaire des populations locales. Les grandes multinationales de l’alimentation peuvent ainsi pénétrer ce nouveau secteur de consommation puisque les fondements de leur commerce, issus des échanges coloniaux, loin d’être remis en cause, se voient légitimés au moyen d’un sceau éthique. Nestlé, Al Van Houtte, Starbucks et Proctor & Gamble redorent ainsi leur image (même McDonald’s a sorti son propre café équitable en Suisse). Pour ces multinationales, le développement durable est avant tout une perspective de profit durable :
Le développement durable est facile à définir : si votre arrière-grand-père, votre grand-père et vos enfants restent des consommateurs fidèles de Nestlé, alors nous avons travaillé de façon durable. Peter Brabeck-Letmathe, directeur général de Nestlé, déclaration au Forum de Davos, 2003.
La citoyenneté mondiale a donc ses limites et les firmes multinationales l’ont bien compris. Ce sont les premières à tenter de récupérer toute action citoyenne pour profiter du nouveau marché de la solidarité. C’est ainsi que les grandes chaînes de café ont leur marque équitable, que les agences de voyage offrent des forfaits de tourisme solidaire, et que les compagnies de pâte et papiers vendent des produits recyclés. Ces récupérations peuvent être perçues comme des victoires par celles et ceux dont l’objectif est d’intégrer ces alternatives aux pratiques du marché. Cependant, étant donné que l’économie capitaliste est basée sur le profit, la vente et la consommation, et non pas sur la réponse aux besoins des populations, on peut se demander si l’objectif des partisan-ne-s de l’économie solidaire n’est pas dénaturé par ces pratiques commerciales.
Qui plus est, la promotion de l’action citoyenne fait retomber la responsabilité du changement social sur la citoyenne individuelle, en écartant le débat sur la responsabilité des entreprises et des États relativement aux injustices sociales et aux problèmes environnementaux. Ce type d’action citoyenne ne demande finalement qu’un réaménagement du mode de vie dans les sociétés de consommation de masse et un renouvellement de l’image publicitaire des compagnies. En ce sens, l’idée de citoyenneté mondiale apparaît comme une appellation dénaturée, qui a été récupérée afin de dépolitiser l’implication sociale et évacuer l’engagement collectif. Dans ce contexte, peut-on croire que ces actions citoyennes ont le potentiel de mener à un changement social ?
Si « Acheter c’est voter ! », on comprend pourquoi la majorité de la population mondiale, dénuée de pouvoir d’achat, est également dépourvue de droit de vote au sein de cette citoyenneté mondiale. La citoyenneté mondiale peut-elle réellement être perçue comme un engagement en faveur de la justice sociale alors que l’exercice même de cette citoyenneté est réservé à la minorité privilégiée ?
Des fruits de la palme africaine est extraite l’huile de palme (la deuxième huile la plus utilisée au monde après le soya). L’huile de palme est utilisée comme huile végétale dans toutes sortes de produits d’usage courant (elle se trouve ainsi souvent dans la liste d’ingrédients de produits d’entretien ménager dits écologiques) et dans la production d’agrocombustibles. Dans un contexte mondial de menace de crise énergétique, les agrocombustibles – que nous refusons de nommer biocarburants ou biodiesel pour des raisons évidentes – sont présentés comme une alternative écologique au pétrole, sans égard aux conséquences humaines et écologiques de cette agriculture industrielle (le PASC est d’ailleurs devenu membre du Réseau québécois des groupes écologistes dans le but d’y soulever ce débat).
Au Québec, le mouvement de consommation responsable a permis de rétablir le lien entre le bien consommé et le producteur dans l’esprit de beaucoup de Québécois-e-s. Apprendre que des nettoyants biodégradables, des savons artisanaux et des autobus au « biodiesel » peuvent avoir des liens avec des massacres, des déplacements forcés et avec la destruction environnementale en Colombie, en Malaisie, en Indonésie et ailleurs, n’est sans doute pas mobilisateur du point de vue de l’engagement citoyen… mais peut-on en faire l’économie ?