Dans le texte d’introduction à la Première Internationale (Association internationale des travailleurs, Londres, 1864), Marx écrivait : « L’expérience du passé a montré qu’une attitude dédaigneuse envers l’alliance fraternelle qui doit exister entre les ouvriers des divers pays et les inciter à se soutenir fermement les uns les autres dans leur lutte de libération est punie par une défaite générale de leurs efforts isolés. » Cette citation résume la pensée internationaliste qui se développe alors en tant que processus révolutionnaire porté par l’union mondiale des prolétaires, union qui, pour instaurer le communisme, abolirait les États et les frontières. Le système capitaliste étant, de par sa nature, porté à la mondialisation, il ne peut être aboli dans un cadre national : la lutte prolétaire doit nécessairement se jouer à l’échelle mondiale. En outre, pour Marx et les partisan-ne-s de la Première Internationale (1864-1876), les États-Nations et leurs frontières sont des créations de la bourgeoisie ; la doctrine communiste, basée sur la communauté d’intérêts des peuples opprimés, s’oppose donc aux guerres entre États (bourgeois) et aux nationalismes. Cet engagement « contre les guerres bourgeoises » sera au centre des débats qui divisent les partisans de la Seconde (1889-1914) et de la Troisième Internationale (1919-1943): si certaines factions refusent de participer « aux guerres impérialistes » d’autres prônent l’enrôlement dans les armées nationales pour lutter contre les États fascistes et défendre l’URSS. Les idées internationalistes restent toutefois vivantes, particulièrement au sein des « Brigades internationales » qui se déploient durant la Guerre civile d’Espagne (1936-1938) pour appuyer les milices antifascistes en lutte contre le pouvoir franquiste.(vi) Cet élan de solidarité de type internationaliste mobilise environ 59 000 volontaires provenant de 53 pays différents.i Parmi eux, 1300 volontaires canadiens forment le bataillon Mackenzie-Papineau pour rejoindre les Brigades internationale en Espagne.(48)
La théologie de la libération fait irruption à partir des années 1960 conjointement à l’idéologie tiers-mondiste et aux luttes de décolonisation en Afrique. Développé en Amérique latine, ce courant du christianisme aborde conjointement les questions de foi et de changement social. Des approches similaires ont été mises de l’avant au sein du protestantisme, entres autres en Afrique du Sud où le pentecôtisme fut un vecteur des luttes contre l’apartheid. En rupture avec le fatalisme de l’Église qui promet aux pauvres le salut dans l’au-delà et les enjoint à souffrir ici-bas aux côtés du Christ, les « curés va-nu-pied » rejettent les termes assistantialistes de la mission de foi au profit de l’Option préférentielle pour les pauvres. Selon eux, « l’Église du peuple » doit prendre le parti des pauvres, défendre leurs intérêts et appuyer leur émancipation.
Je suis révolutionnaire chrétien, parce que l’amour envers le prochain est l’essence du christianisme et que ce n’est que par la révolution que l’on peut obtenir le bien-être de la majorité des gens. Camillo Torres, prêtre colombien et guérillero (1929-1966).
Au Québec, plusieurs prêtres ainsi que plusieurs religieuses rejoignent cette Église du Peuple : ils et elles tissent des liens avec les mouvements de libération nationale en Amérique Latine et développent un activisme chrétien en faveur de la justice sociale. Ce nouvel activisme qui prône la solidarité internationale avec les peuples opprimés en lutte pour leur libération est présent dès les années 1950 avec la création de L’Entraide missionnaire (EMI) (49), un groupe de formation sur les enjeux internationaux soutenu par diverses communautés religieuses. Ce mouvement se développe parallèlement au sein d’organisations d’action catholique étudiantes et ouvrières (citons en exemple Jeunesse ouvrière catholique, le Mouvement d’étudiants chrétiens du Québec et le Réseau des prêtres et religieux en milieu ouvrier). À la fin des années 1960, l’aile progressiste de l’Église a pris du terrain et on assiste en 1967 à la création de l’Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix, puis en 1972, à la constitution du Réseau des politisés chrétiens. Dans les années 1970, les chrétien-ne-s québécois-e-s de gauche se regroupent également au sein de nouvelles organisations dédiées à la solidarité internationale; c’est le cas entre autres du Comité chrétien pour les droits humains en Amérique Latine (aujourd’hui CDHAL) (50) et du Comité Québec-Puebla.(51) Si cette Église du peuple était très présente lors des luttes contre les dictatures en Amérique latine, elle reste vivante au sein de plusieurs mouvement sociaux du continent; nommons en guise d’exemples le Mouvement des sans terres du Brésil ou encore la Commission interécclesiale Justice et paix en Colombie(i). Au Québec, l’EMI, Développement et Paix de même que le CDHAL sont toujours actifs dans le domaine de la solidarité internationale. Le Réseau oecuménique pour la justice et la paix (ROJeP) (52) regroupe en outre plus de 40 groupes chrétiens québécois œuvrant pour la justice sociale.
(i)La Commission est un des principaux partenaires du PASC en Colombie. Voir (en espagnol) : justiciaypazcolombia.com
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vi. Le régime franquiste réfère à la dictature de Franco (1939 – 1977) qui s’établit suite à la Guerre d’Espagne (1936-1939).
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48 Hoar et Reynolds, The Mackenzie-Papineau Battalion.
49 Site web de l’Entraide Missionaire : www.web.net/~emi
50 Site web du CDHAL : cdhal.org
51 Pour en savoir plus sur les organisations de gauche au sein des mouvements chrétiens du Québec : Vaillancourt, « Les groupes socio-politiques progressistes dans le catholicisme québécois contemporain »
52 Site web du RoJEP : www.justicepaix.org