La compassion à plusieurs vitesses

L’idée selon laquelle l’urgence humanitaire justifie l’intervention étrangère se nourrit de « l’emballement compassionnel » du public : Il faut agir ! Pour Bernard Duterme, sociologue français : « Pas de donateurs sans journalistes, pas d’humanitaires sans donateurs, pas de journalistes sans audience… ils se nourrissent mutuellement. » (33) Le rôle des médias dans la mobilisation de l’opinion dite publique est sans conteste énorme, il agit comme mécanisme de discrimination des victimes : toutes les victimes de guerres ou de catastrophes naturelles ne reçoivent pas la même attention. Ainsi, certaines victimes « méritent » plus que d’autres l’assistance internationale, tout comme les bébés phoques éveillent d’avantage la compassion du public que le requin blanc en voie d’extinction. La réponse humanitaire n’est donc pas inconditionnelle ni universelle, elle se base sur des critères qui correspondent généralement d’une part aux intérêts impérialistes des États et, d’autre part, à la construction sociale de la souffrance. [Voir :  Images de la souffrance]

Mentionnons un autre paradoxe : les opérations humanitaires sont menées et décidées par les ressortissant-e-s des pays qui contribuent au maintien d’un système bien souvent responsable des catastrophes humanitaires :

Dans un ordre mondial qui fonctionne sur un système économique, politique et culturel structurellement injuste qui n’accorde de fait que peu de valeur à la vie des deux tiers de l’humanité, les interventions humanitaires avec recours à la force pour tenter de mettre fin à d’importantes violations des droits de l’homme ou sauver la vie des victimes de catastrophes posent question à de multiples niveaux. D’autant plus lorsque les opérations sont décidées par ceux qui, d’une façon ou d’une autre, contribuent au maintien d’un ordre international excluant, en dépit des arguments de légalité mobilisés pour justifier de telles actioni. Bernard Duterme, sociologue français(34). 

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33- Duterme, Bernard. 2011. « Les cinq « invariants » de la logique humanitaire ». Demain Le Monde 5 (janvier-février). [En ligne] (Consulté le 11 janvier2011.)
34- idem