Des victimes actrices de changement

Tout comme la souffrance relève d’une construction sociale, la position de victime est également le fait de discours et de perceptions. Il y a ainsi plusieurs manières de considérer une « victime ». Elle peut être vue comme une personne impuissante. Devant elle, nous ressentons de la pitié et une obligation morale à l’aider, car elle serait incapable de remédier à sa situation par elle-même alors que nous prétendons posséder les moyens pour améliorer sa condition.

Les victimes sont par nature impersonnelles et interchangeables. Elles apparaissent, figurantes passives d’un marketing émotionnel, dans les courriers des ONG. La plupart des individus concernés ne se pensent pas, d’abord, comme des victimes, mais comme des individus confrontés à un drame.[…] C’est le regard d’un autrui étranger qui les construit en victimes. L’inégalité et l’absence de réciprocité caractérisent le rapport entre sauveteurs et sauvés.(165) Bernard Hours, antropologue français

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Ainsi, le mouvement féministe, notamment au Québec, dans son combat contre la violence, a adopté le terme de « survivante », afin de mettre l’accent sur la force de la victime. En considérant qu’une victime possède les capacités et le potentiel de reprendre du pouvoir sur sa vie (notion d’empowerment), il est alors possible de la voir comme une actrice, une alliée, une partenaire.

Ailleurs dans le monde, le terme de « victime » a été publiquement revendiqué pour mettre à jour les crimes (et donc la présence de criminels et de victimes). C’est le cas du Mouvement de victimes de crimes d’État, présent dans différents pays aux prises avec une dictature ou un régime répressif déguisé en États de droits. Cette revendication du statut de victime représente le passage d’une position passive et neutre à une position d’acteur, dénonçant les crimes commis par les États, et revendiquant le droit à la vérité, à la justice, à la réparation intégrale. Le chapitre colombien de ce mouvement international se définit ainsi :

Le Mouvement national des victimes de crimes d’État […] revendique le droit à s’organiser et à se mobiliser: c’est un engagement en faveur de la dignité des victimes qui élaborent des propositions politiques, qui résistent à l’oubli et qui refusent la conciliation et la concertation sur la question des droits des victimes avec un État qui a été capable de protéger des responsables de crimes, allant ainsi jusqu’aux limites les plus honteuses de l’impunité.(166)

Enfin, certain-e-s activistes, préfèrent le terme « les plus affectés » à celui de « victimes » afin de souligner que nous sommes tous et toutes affecté-e-s par les systèmes de pouvoir responsables des crimes contre l’humanité tout en reconnaissant néanmoins que certain-e-s sont sur la ligne de front. Le colonialisme, l’agro-industrie, l’exploitation minière, le militarisme, etc. ont des effets ravageurs partout sur la planète, le Canada n’y échappe pas. Cette lecture nous semble enrichissante afin de situer notre action de solidarité internationale en lien avec les luttes qui se mènent au sein de notre propre pays.

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165 Hours, « Derrières les évidences… »
166 Trad.libre. « El MOVICE, […] demuestra una personalidad y una identidad que reivindica el derecho a organizarse,
movilizarse, y en todo caso es una apuesta por la dignificación de las víctimas, que elabora propuestas políticas, que se resiste al olvido y se niegan a conciliar y a concertar los derechos de las víctimas con un Estado, que ha sido capaz de favorecer a los victimarios hasta el límite de la más vergonzosa impunidad». Movimiento nacional de víctimas .[En
ligne] : www.movimientodevictimas.org