Qui aide qui ?

Au retour d’un projet de solidarité à l’étranger, la grande majorité des coopérant-e-s a l’impression « d’avoir reçu davantage qu’elle a donné ». À l’instar des autres stagiaires du programme Québec sans frontières (QSF) qui ont participé à l’étude sur les privilèges de la coopération internationale, Chantale remarque « J’ai beaucoup appris là-bas, eux m’ont beaucoup appris. J’ai le sentiment qu’ils m’ont donné beaucoup plus que moi j’ai pu leur être utile. »(167) Le propos n’est pas ici de juger de l’utilité de ces stages d’initiation à la coopération internationale pour la population d’accueil mais bien de souligner que, contrairement à la charité qui se prétend désintéressée, l’acte de solidarité est un acte intéressé duquel on tire des avantages. Cette prise de conscience peut aider à déconstruire l’image altruiste du Bon samaritain et ainsi déjouer les rapports de pouvoir qui en découlent.

Les bénéfices plus largement évoqués par les coopérant-e-s sont de l’ordre thérapeutique et professionnel. Qui n’a pas entendu des proches raconter leur expérience à l’étranger en des termes de révélation, de crise existentielle ou de croissance personnelle? Les projets à l’étranger nous offrent non seulement l’opportunité de nous confronter à de nouvelles réalités, d’ouvrir nos «horizons », etc., mais également le luxe de prendre des vacances de notre vie canadienne, de prendre un recul face à notre quotidien, une position qui favorise l’introspection, l’ouverture d’esprit, la formation politique, etc.

Pour les promoteur-trice-s des stages d’initiation à la coopération internationale, cette expérience exceptionnelle devrait permettre de sensibiliser les jeunes et de développer leur engagement en faveur de la justice sociale. Pour évaluer les retombées d’une telle stratégie, Plan Nagua a réalisé en 2005 une étude auprès de ses ancien-ne-s stagiaires pour cerner leur « implication dans différentes activités de mobilisation et d’implication sociale au Nord ». Les auteures de cette recherche concluent que les retombées les plus probantes ne se manifestent pas en termes d’engagement social et politique de la part des ancien-ne-s stagiaires mais plutôt en termes de valorisation de leur parcours académique et professionnel.(168) Une étude similaire, réalisée en France dans les années 1990 auprès du personnel bénévole et salarié des ONG françaises propose une conclusion semblable :

L’expérience ” humanitaire ” peut tout d’abord représenter, pour des jeunes diplômés en voie d’ascension sociale ou des cadres désabusés, une opportunité pour faire montre d’aptitudes et de compétences valorisées par le monde professionnel. Elle constitue ainsi une expérience aisément ” monnayable ” sur le marché du travail.(169)

Outre les avantages d’ordre thérapeutique et professionnel, l’implication dans un projet ou une campagne de solidarité internationale permet de construire une image positive de soi.

Je veux être très claire sur ce point : la solidarité est faite en partie de plaisir et de manières de façonner sa propre identité qui ne relèvent pas nécessairement d’une réflexion autocritique. […] Nous sommes plus heureux avec nous-mêmes lorsque nous nous positionnons en tant que sujets moraux face à l’injuste structure du pouvoir, lorsque nous nous nous situons du bord des victimes et que nous nous voyons comme jun tremplin vers la justice pour ces victimes.(170) Diane Nelson, antropologue étasunienne.

Dans un mouvement de solidarité, nous sommes amenées à côtoyer des acteurs et actrices que nous admirons et qui nous offrent leur confiance. Le fait de nous sentir partie prenante d’un mouvement répond à nos besoins en termes de valorisation et d’accomplissement personnel. « Je me sens utile » ou encore « Je suis du bon bord ».

Bref, reconnaître les bénéfices personnels que comporte notre engagement en solidarité internationale nous amène à prendre conscience du fait que nos actions ne sont pas uniquement destinées à aider les Autres. D’ailleurs, ne pourrait-il pas s’avérer profitable de considérer que nous ne le faisons pas pour eux mais bien pour nous ? Le débat est ouvert.

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167 Mahrouse, G., « Solidarity tourism & international development internships: Some critical reflections. »
168 Gauthier et al., «Retombées d’un séjour de coopération internationale… »
169 Conclusion d’une enquête mené dans les années 1990 auprès d’une centaine de salariés du domaine de la coopération internationale. Lechien et al., Du syndicalisme à la « solidarité internationale…, p. 110.
170 Trad.libre. « I want to be very clear that solidarity is in part about enjoyment and about forms of self-fashioning that may not be very self-reflexive. […]. We feel more content with ourselves when we are positioned as moral subjects
against the voracious and unjust power structure and as the vehicles of justice for the victims whose side we take.» Nelson, « A finger in the Wound… », p.62.