Les OCI au Québec

> Organisme de coopération internationle (OCI)
Tout organisme à but non lucratif dont le siège social est situé au Québec ou dont le bureau québécois dispose d’une autonomie de sélection, de gestion et de réalisation de projets d’intervention dans les pays moins favorisés, et dont la mission première, telle que définie aux lettres patentes, est orientée vers la solidarité et le développement international.
Ministère des relations internationales du Québec

Il y a environ 160 000 ONG au Canada, ce qui équivaut à l’un des plus hauts ratios par habitant parmi les pays du Nord; parmi elles, on compte au moins 500 organismes dédiés à la coopération internationale(106). Ces dernières représentent 7 % de l’économie canadienne.(107) La croissance des ONG (incluant les OCI) a été fulgurante depuis la seconde moitié du siècle dernier.

Comme le note Louis Favreau, sociologue québécois et organisateur communautaire, dans les années 1950 et 1960, les premiers groupes québécois de solidarité internationale sont « principalement de filiation religieuse, [elles] offrent des services à des communautés locales du Sud pour leur venir en aide. La philosophie de ces organisations était inspirée des préoccupations humanitaires de l’époque. Dans ce contexte, leur intervention était plutôt conçue comme une mission évangélisatrice. »(108) Ces premières ONG œuvrant à l’international se consacraient d’abord au secours humanitaire d’urgence et à l’assistance matérielle.

Le domaine de la coopération internationale connaît ensuite une forte expansion dans les années 1960 et 1970. Dominique Caouette, coordonnateur du REDTAC (xiv), identifie deux facteurs expliquant ce phénomène : la mise en place de ressources financières stables et récurrentes par l’État canadien, culminant par la création de l’ACDI en 1968, ainsi que le retour de coopérant-e-s laïques et religieux de l’étranger qui souhaitent poursuivre leur implication.(109)

À partir des années 1970, un processus de sécularisation des ONG s’entame parallèlement à une diversification de leurs activités. Ces dernières s’orienteront dorénavant davantage vers :

  • 1.la poursuite de projets de développement;
  • 2.la coopération pour l’empowerment des populations du Sud;
  • 3.l’envoi de coopérant-e-s.
  • Comme le rappelle Guy Lafleur, ancien président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), l’appellation OCI réfère dans son histoire à une certaine prise de position : vers le milieu des années 1980, « il n’y avait rien à faire avec le gouvernement ni avec l’ACDI. On pouvait le dénoncer, mais il n’était pas question de dialoguer ou de collaborer avec lui et encore moins d’avancer des propositions de rechange. L’important, c’était d’utiliser toute l’énergie disponible pour soutenir au maximum les organisations populaires les plus dynamiques au Sud, d’éduquer et de mobiliser la solidarité locale ».(110)

    Néanmoins, pour Favreau, malgré les changements à la mission des ONG, la « logique de la compassion », qui réduit les populations du Sud à des bénéficiaires de l’aide d’urgence, est toujours présente, entre autres dans « le modèle humanitaire américain et canadien de CARE, de Save the Children ou de Vision mondiale ».(111) Plusieurs des plus grosses ONG internationales (Oxfam, Vision mondiale, Médecins sans frontières, Croix-Rouge, etc.), qui œuvrent dans le domaine de l’humanitaire, ont d’ailleurs une filiale au Canada.

    Aujourd’hui, au Québec, en plus des organisations regroupées au sein de l’AQOCI, créée en 1976, d’autres associations d’intérêts divers participent à ce mouvement : des centrales syndicales (CSN, FTQ) et des syndicats particulièrement actifs en solidarité internationale (syndicats des Métallos, des Postes, TCA, etc.), des fondations privées, le mouvement des coopératives (le Mouvement Desjardins), et d’autres associations d’intérêts corporatistes ayant un volet international (l’Union des producteurs agricoles par exemple), etc.
    Les ONG qui ne sont pas liées à des compagnies ou à des fondations privées sont pour leur part très dépendantes des fonds gouvernementaux, comme le déplore l’AQOCI :

    Au total, les ONG canadiennes demeurent passablement dépendantes des fonds publics fédéraux. Cette situation limite leurs possibilités d’action et elle les pousse à s’aligner sur des priorités (égalité entre les sexes, etc.) et des méthodologies (gestion axée sur les résultats, par exemple) qui, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, sont souvent fixées unilatéralement par l’ACDI dans une conjoncture où cette agence se montre de plus en plus soucieuse de la “cohérence” et de l’”efficacité” de l’aide canadienne. Les ONG qui dépendent trop fortement de l’ACDI risquent presque fatalement d’être instrumentalisées par celle-ci.(112)

    Ainsi, l’ACDI considère que les ONG ont comme mandat de l’aider à réaliser sa mission. Afin d’être financés par l’agence gouvernementale, les organismes doivent s’aligner sur ses méthodes de gestion et sur ses objectifs politiques. Comme le note Caouette:

    […] à partir de la seconde moitié des années 1990, l’ACDI impose des dispositifs de plus en plus contraignants quant à la façon dont les ONG doivent présenter leurs résultats. Selon Brian K. Murphy, ce mode de gestion est réductionniste car il impose une linéarité à l’action des ONG et constitue l’expression d’une approche technocratique et mécanistique…(113)

    Au Canada, « l’ACDI a choisi de financer les ONG qui étaient disposées à mettre en place des projets directement en lien avec les nouvelles politiques et priorités identifiées dans cet énoncé de politiques extérieures. »(114) Situation paradoxale s’il en est une, puisque ces mêmes ONG sont censées être en même temps les garantes et les critiques de la politique extérieure de l’État. Étant pour la majorité dépendantes de l’État pour leur survie, elles ont intérêt à se montrer très prudentes dans leurs déclarations et à adopter une attitude publique conciliante face au gouvernement, au risque de se voir couper leur principale source de revenus.(115)

    L’exemple de SUCO(116) illustre bien l’histoire des ONG et des OCI au Canada. Créé en 1961, le Service universitaire canadien outre-mer (CUSO/SUCO) se voulait une association nationale destinée à coordonner les projets de coopération internationale des étudiant-e-s universitaires canadien-ne-s. À ses débuts, l’organisme relevait d’une éthique chrétienne, dans laquelle les volontaires étaient strictement des « aidant-e-s ». Puis, à compter des années 1970, à la suite d’une réflexion sur les causes du sous-développement, cette OCI développe une éthique solidaire qui se concrétise par la mise en place de programmes d’éducation et de sensibilisation du public, ainsi que par la création d’alliances avec les mouvements populaires canadiens. De vives tensions politiques au sein de l’organisation provoquent, en 1981, sa scission en deux entités distinctes : le CUSO et le SUCO. Mentionnons que le SUCO a subi de plein fouet les conséquences de ses positions politiques jugées trop militantes par l’ACDI qui, alors qu’elle lui fournissait plus de 80 % de son budget, lui coupe tout financement en 1983. (117)

    Au moment de la cessation de financement par l’ACDI, le SUCO, à tort ou à raison, était toujours perçu comme un organisme militant, politiquement engagé et orienté. En coupant le financement du SUCO et en favorisant le transfert des volontaires à d’autres organisations, on peut discerner l’intention de l’ACDI : s’assurer que le volontariat soutenu par le financement gouvernemental corresponde à la définition qu’en faisait l’ACDI, c’est à-dire une pratique internationale formatrice pour les jeunes Canadiens et favorable au soutien de l’aide publique canadienne au développement. L’ACDI s’est ainsi imposée dans les affaires d’une ONG, […] pour proscrire une orientation militante et critique..(118) Martin Desmeules, historien québécois.

    Palestine : couper le soutien international
    KAIROS, Initiatives canadiennes œcuméniques pour la justice, est une ONG canadienne née en 2001 d’un regroupement d’Églises et d’organisations religieuses œuvrant pour la justice sociale et la promotion des droits humains(119). La coalition s’est vu coupé son financement de la part de l’ACDI en 2009 (en 2008, 39 % de son budget était fourni par l’ACDI) :

    Une explication plus révélatrice des coupures se dégage des propos émis par Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, lors d’un discours au Forum mondial pour la lutte contre l’antisémitisme à Jérusalem le 16 décembre [2009]. Dans son allocution, M. Kenney a affirmé : « Nous avons élaboré et mis en œuvre une approche de tolérance zéro face à l’antisémitisme. […] Nous avons coupé les subventions aux organisations comme KAIROS qui, tout récemment, a adopté un rôle de chef de file dans le boycott. » […] En fait, KAIROS n’a pas pris position en faveur de la campagne internationale de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) qui a pris de l’ampleur au Canada et ailleurs en Occident. […] Plusieurs sont d’avis que le gouvernement s’est mépris au sujet de KAIROS (l’ONG canadienne), la confondant avec un document émis par un groupe de chrétiens palestiniens intitulé « The Kairos Palestine Document » lequel promulguait la mise en place d’un «  système de sanctions économiques et de boycott contre Israël. […] Si KAIROS prenait position en faveur du mouvement BDS ou des droits des Palestiniens, cela devrait-il poser problème ? (120) Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (2010).

    Une lecture politique des restrictions budgétaires subies par KAIROS (I) nous amène à nous interroger sur la position du Canada face à l’apartheid israélien(121), mais également à nous demander quelles sont les possibilités d’action des ONG qui dépendent du financement gouvernemental lorsqu’il est question pour elles de s’impliquer dans des pays « politiquement sensibles ». Au Québec, à la demande de l’ACDI, l’organisme Alternatives(122) a ainsi accepté de mettre fin à « un partenariat vieux de quinze ans avec le Touchers Creativity Center, un organisme voué à l’éducation en Palestine, car il présentait ” un risque d’échec élevé “. »(123)
    Dans la dernière décennie, le mouvement pour la décolonisation de la Palestine a pris de l’ampleur en amenant différentes organisations à reconnaître publiquement la situation d’apartheid qui prévaut en Israël. La campagne Boycott, désinvestissement et sanction (124), lancée en 2005 à l’initiative d’organisations palestiniennes, est devenue en sept ans un mouvement international reconnu. La Semaine contre l’apartheid israélien(125) se déroule au mois de mars dans maintenant plus de 40 villes dont Montréal .

    (I) Il semblerait que la décision de couper les vivres à Kairos soit venue directement de la Ministre de la coopération internationale, Bev Oda (Voir: Buzzetti, Hélène. 2011. « Bev Oda avoue être intervenue pour bloquer le financement du groupe Kairos ». Le Devoir, 15 février).

    Financement : en toile de fond, un débat infini
    Lorsque l’AQOCI se forme en 1976 pour coordonner les efforts des OCI québécoises, les organisations membres revendiquent non seulement une partie des fonds gouvernementaux destinés à l’aide publique au développement, mais également une gestion autonome de ces fonds. Dans l’esprit des protagonistes, cette stratégie permettrait aux OCI d’accéder au financement public selon les priorités et critères qu’eux-mêmes établiraient (grâce à leur concertation au sein de l’AQOCI) et non plus selon le programme ou la ligne d’action de la politique étrangère canadienne. De la même façon, dans les années 1980, la Coalition des organismes communautaires du Québec se donne comme mandat de faire respecter, par l’État québécois, l’autonomie du mouvement communautaire et la nécessité d’un financement adéquat. Qu’il soit question des OCI ou des organismes communautaires, ces réseaux institutionnels participent d’une même vision quant au financement public : les acteurs collectifs qui œuvrent pour le bien commun ne doivent pas quémander une aide financière à l’État ; ils y ont droit. Deux lectures politiques, quelque peu différentes, justifient cette position face au gouvernement.
    La lecture libérale met de l’avant le caractère démocratique d’une telle démarche. Selon cette approche, les États de droit doivent financer les groupes qui critiquent les politiques gouvernementales, voire l’opposition politique, pour s’assurer qu’une pluralité d’opinions est représentée sur la scène publique. De son côté, l’approche social-démocrate mise sur la mission de redistribution des richesses de l’État-providence. Les fonds publics qui proviennent de la poche des contribuables doivent être redistribués dans le cadre national, mais également au-delà des frontières (au moyen de l’APD), afin de pallier les inégalités sociales provoquées par le système économique actuel. Puisque les organisations citoyennes (tant les OCI que les groupes communautaires) représentent des secteurs défavorisés de la population ou s’adressent à eux, elles sont des acteurs clés pour mener à bien la mission de redistribution des richesses. Ces deux approches préconisent généralement une stratégie basée sur la concertation avec les décideurs publics afin de participer à l’élaboration des politiques gouvernementales.

    Loin de faire consensus, ces positions s’opposent à celles qui relèvent d’une stratégie de confrontation et qui mettent en doute la possibilité de préserver l’autonomie des mouvements sociaux vis-à-vis de l’État lorsque celui-ci est leur principal bailleur de fonds. Forte d’une analyse selon laquelle le pouvoir ne cède rien sans s’y voir obligé, l’approche dite autonome invite les organisations sociales à créer un rapport de force par rapport à l’État. Selon cette stratégie, le financement étatique est nécessairement le talon d’Achille de ces organisations puisqu’il les force à devoir plaire au pouvoir afin d’assurer leur survie. Encore une fois, différentes positions cohabitent au sein de cette approche.

    Bien que méfiantes face au piège du financement public, plusieurs organisations acceptent certaines subventions en considérant qu’il vaut mieux récupérer cet argent que de le laisser aux mains du gouvernement qui le redistribuera nécessairement aux plus nantis (crédits d’impôts aux entreprises, subventions aux grandes industries, mise en place de politiques néolibérales, etc.). Ces organisations établissent généralement des critères pour l’acceptation ou non de subventions et ce, afin de réduire l’impact du financement gouvernemental. Par exemple, elles peuvent refuser tout financement qui leur impose des conditions ou qui implique un droit de regard du gouvernement sur leurs activités. D’autres acceptent uniquement le financement destiné à leur mission de base tel qu’elle est formulée par leurs membres mais refusent un financement par projet qui incite à se plier aux priorités établies par les politiques gouvernementales. Enfin, quelques organisations font le choix politique de ne recevoir aucun financement de source gouvernementale afin de se prémunir contre les risques de cooptation et de bureaucratisation de l’action sociale. Puisque ces mêmes organisations refusent généralement d’être financées par des entreprises privées, leurs sources de financement sont donc des plus précaires et une grande partie de leurs efforts est engloutie dans des activités d’autofinancement sollicitant les membres et sympathisant-e-s. À ce propos, leurs détracteur-trice-s font remarquer qu’il peut être aussi pernicieux pour l’autonomie de l’action sociale de retourner aux temps où les œuvres de bienfaisance devaient compter sur la charité des honnêtes gens. Bref, d’hier à aujourd’hui, le thème du financement reste un débat épineux où s’affrontent des visions très différentes de l’action sociale.

    ——————————————
    106 Lavergne et Wood, Cida, Civil Society and Development…
    107 AQOCI, La coopération internationale canadienne depuis 1985, p. 29.
    108 Favreau, « Coopération internationale de proximité… », p. 30.
    109 Caouette, « Les organisations non gouvernementales… », dans Audet et al., L’aide canadienne…, pp. 114-115.
    110 Lafleur, « L’évolution des organismes québécois de coopération internationale. »
    111 Favreau, « Coopération internationale de proximité… »
    112 AQOCI, La coopération internationale canadienne depuis 1985, p. 30.
    113 Caouette, « ONG canadiennes… », p. 14.
    114 Idem., p. 11.
    115 Caouette, « Les organisations non gouvernementales… », dans Audet et al., L’aide canadienne…, p. 128.
    116 Site web de SUCO: www.suco.org
    117 Desmeules, « Histoire du volontariat international au Québec : Le cas du service… ».
    118 Idem. pp. 165-166.
    119 Site web de Kairos: www.kairoscanada.org
    120 Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient. 2010. Fiche d’information 74 (février).
    121 Voir entre autres: Davis, Uri . 2003. Apartheid Israel, Possibilities for the Struggle Within. London : Zed Books. ; Mac Allister, Karine. 2008. « Applicabilité du crime d’Apartheid à Israël ». [En ligne] http://www.ism-
    france.org/analyses/Applicabilite-du-crime-d-Apartheid-a-Israel-article-9849 (Consulté le 11 décembre 2010.) ; Quigly, John. 1991-1992. « Apartheid Outside Africa : The Case of Israel ». 2nd. International and Comparative Law Review 221
    122 Site web d’Alternatives: www.alternatives.ca
    123Jacob, Guillaume. 2010. « Grossière ingérence: coupures à KAIROS et Alternatives ». Montréal Campus 30, 13 (10
    Mars).
    124 www.bdsmovement.net
    125 Semaine contre l’Apartheid israélien, Montréal 2011. [En ligne] www.saimontreal.org