L’Internationale de la Résistance

C’est sans aucun doute l’appel lancé par les Zapatistes deux ans après leur soulèvement armé dans les montagnes du sud du Mexique qui renouvelle l’idée d’une Internationale dans les années 1990. La Première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme se déroule au Chiapas en 1996. De cette rencontre, surgit l’appel historique à porter « l’Internationale de l’espérance » contre « l’Internationale de la terreur représentée par le néolibéralisme ».

La nébuleuse Internationale y est définie comme : « un réseau collectif de toutes nos luttes et résistances particulières. Un réseau intercontinental de résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental pour l’humanité. Ce réseau intercontinental sera le moyen par lequel les différentes résistances s’appuieront les unes les autres ».(65) Première rencontre intercontinental pour l’humanité et contre le néolibéralisme (1996).

Rappelons que le soulèvement zapatiste a lieu le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA). Les manifestations de cette Internationale de la résistance prendront dès lors comme cibles les accords économiques et les sommets des élites économiques et politiques de ce monde. En 1999, se déroule non seulement la Bataille de Seattle, point d’envol des grandes mobilisations antimondialisation, mais également la deuxième Conférence de l’ction mondiale des peuples (Bangalore, Inde). Le « Mouvement des mouvements » s’est ensuite exprimé au moyen de mobilisations massives à travers le monde ; au Canada, on se souviendra entre autres du Sommet des Amériques (Québec, 2001), de la rencontre de l’OMC (Montréal, 2003) et de la rencontre du G20 (Toronto, 2010).

Pour Pierre Rousset, ce qui caractérise ce nouvel internationalisme, c’est avant tout « le sentiment d’une communauté immédiate de combat dans toutes les régions du monde ».

Contre les privatisations, le démantèlement des services publics, les faveurs faites à l’agro-industrie, la remise en cause des droits sociaux […], des luttes se mènent au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest sur des mots d’ordre souvent très proches. Cela n’avait jamais été à ce point le cas dans le passé. […] Aujourd’hui, on ne se solidarise pas seulement avec ” l’autre “, on s’engage ensemble dans les mêmes résistances contre les mêmes politiques. […] la mondialisation néolibérale ne rapproche pas uniquement les différentes parties du monde, elle rapproche aussi des terrains de luttes très variés (sociaux, écologiques, culturels).(66) Pierre Rousset, Institut international de recherche et d’éducation (Amsterdam).

Plusieurs mouvements et organisations mondiales se revendiquent de cette Internationale de la résistance; c’est le cas entre autres de Via Campesina (67) qui regroupe des organisations paysannes de 69 pays différents ou encore de la Marche mondiale des femmes qui déploie, sur tous les continents, des actions qui « visent un changement politique, économique et social [et qui] s’articulent autour de la mondialisation des solidarités » (68). L’Action mondiale des peuples (AMP) (69) qui se présente comme « une structure de coordination horizontale en soutien aux luttes de résistance contre le capitalisme, l’impérialisme et tout système d’oppression » ou encore l’Alliance sociale continentale (70) qui se constitue pour s’opposer au projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), en sont d’autres exemples.

Les Forums sociaux mondiaux (FSM) (71) se sont voulus lieux de rencontre de cette Internationale de la résistance. Autoproclamé « processus de création d’un autre monde », et non pas simple évènement, le Forum social mondial est dit pluriel, diversifié, non confessionnel, non gouvernemental et non partisan. Certes, le FSM sert de lieu de convergence pour « lutter contre le système » sur des bases anti-impérialistes, mais nous ne pouvons passer sous silence le fait qu’un tel espace est très majoritairement occupé par ceux et celles qui en ont les moyens. En effet, quelles sont les possibilités d’accès et de participation pour les plus exclus, c’est-à-dire précisément ceux et celles sans qui la création d’un « autre monde » se révèle illusoire ? Les FSM sont caractérisés par une surreprésentation des Blancs et des « privilégié-e-s de la résistance ». Il est évidemment plus facile pour une ONG québécoise ou même pour une militante canadienne de trouver l’argent nécessaire pour assister à ces forums que pour une organisation paysanne avec peu de ressources économiques. De plus, l’accès aux réseaux internationaux est facilité pour les premières (internet, connaissance de l’anglais, etc.). Les féministes africaines ont par ailleurs montré du doigt la masculinisation de ces espaces altermondialistes:

Les femmes ont fait pression lors du Forum social africain de 2003 pour élaborer un projet de résolution qui revendiquait un taux de représentation de 50 % des femmes dans tous les processus et les activités du FSA. Cependant ce taux est loin d’être réalisé et le FSA continue d’être un espace largement dominé par les hommes, alors que la mobilisation de la masse des organisations populaires dans les pays d’origine des délégués est entreprise par les femmes.(72) Amanda Alexander, chercheure associée à l’université du KwaZulu-Natal, Afrique du Sud.

———————————————————————-

65 Déclaration de la Première rencontre intercontinental pour l’humanité et contre le néolibéralisme.
66 Rousset, « L’internationalisme et son renouveau à l’heure de la mondialisation ».
67 Site web de Via Campesina : www.viacampesina.org
68 Site web de la MMF: www.marchemondialedesfemmes.org
69 Site web de l’AMP: www.agp.org
70 Site web de l’ASC: www.asc-hsa.org
71 Site web du FSM: www.forumsocialmundial.org.br
72 Amanda Alexander, chercheure associée à l’université du KwaZulu-Natal, citée dans Sow, « Politiques … », p. 4.