Colonisation et missions civilisatrices

Dès que le colonisé commence à peser sur ses amarres, à inquiéter le colon, on lui délègue de bonnes âmes qui, dans les Congrès de Culture, lui exposent la spécificité, les richesses des valeurs occidentales. Frantz Fanon (1961).(28)

Les pratiques charitables de l’Europe ont historiquement été accompagnées par des politiques complexes dans lesquelles s’imbriquaient le rôle du soldat conquérant et celui du missionnaire civilisateur/évangélisateur ; cette dynamique est telle qu’il est difficile de dissocier le rôle de l’État et de l’Église. Motivée par des intérêts économiques impérialistes (conquêtes de territoires, mainmise sur les ressources naturelles, nouveaux bassins de main-d’œuvre, etc.), l’expansion coloniale de l’Europe à partir du 13e siècle « est pensée comme un mouvement d’expansion de la chrétienté »i. Les croisades contre les ennemis du Christ (les musulman-e-s, juif-ve-s et « païen-ne-s ») étaient inséparables des affaires commerciales du royaume (recherche d’or, contrôle de territoires, commerce des esclaves, etc.). Alors que le colonialisme moderne européen se déploie sur tous les continents, la collusion de l’Église et du pouvoir souverain incarne, dès lors, la continuité entre le rôle du soldat conquérant et celui du missionnaire, civilisant les « barbares » par l’évangélisation. L’expansion économique qu’entreprend l’Europe pour s’approprier les ressources des pays colonisés et réduire à l’esclavage leur population(ii) provoque le plus grand génocide de l’histoire humaine et étend l’écocide(iii) à la surface entière de la planète. Pourtant, l’entreprise coloniale est pensée comme une mission charitable où l’Occident apporte les bienfaits de sa civilisation aux peuples « barbares ».

L’idéologie colonisatrice repose sur la prétendue supériorité morale de l’Occident de laquelle découlerait le devoir d’éclairer les « pauvres indigènes ».. Cette idéologie se nourrit de la pensée humaniste du siècle des Lumières qui mise sur la Raison pour réaliser « le progrès de la civilisation ».. Pour certains penseurs des Lumières, cette Raison est le propre de l’Homme (européen blanc) tandis que les femmes et les peuples « barbares » sont relégués à l’état de nature, d’où le besoin de les éclairer par la Civilisation.

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ii- Bien que l’ensemble des pratiques coloniales vise l’assujettissement et le contrôle des peuples colonisés, les mécanismes de domination ont pris différentes formes selon les territoires occupés. Lorsque le système esclavagiste n’était pas instauré, d’autres modalités ont été utilisées telles que le contrôle de la mobilité géographique ou sociale, l’imposition de cartes d’identité, l’imposition de règles éducatives visant l’assimilation des « indigènes barbares », etc.
iii- Néologisme construit à partir des mots « écosystème » et « génocide ».
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28- Fanon, Les Damnés de la Terre, p. 11.